N° 146 - Printemps 2025

Les premiers ministres…

On se souviendra de la fin de l’année 2024. La France n’a pas été gouvernée pendant deux mois. Faute de dénicher un premier ministre consensuel. L’appellation, sinon la fonction, date du 8 janvier 1959. Michel Debré, fidèle du général de Gaulle, fut le premier à occuper ce poste. Depuis lors, la France a connu vingt-sept premiers ministres. Seuls Pierre Bérégovoy et Gabriel Attal n’ont pas été décorés de la Légion d’honneur. Préalablement, la France a donc été dirigée – hors Révolutions – plus ou moins par 64 rois et deux empereurs.

Longtemps, le premier ministre a été dénommé président du Conseil. Deux femmes seulement ont porté le titre : Édith Cresson sous François Mitterrand et Élisabeth Borne sous Emmanuel Macron. Une responsabilité partagée avec un nombre variable de secrétaires d’État. Le premier ministre reçoit, comme les membres du gouvernement ou le président de la République, un salaire mensuel de 16’000 euros, une indemnité de résidence et une autre de fonction. À cela, il faut ajouter la prise en charge des dépenses téléphoniques et du courrier, ainsi que de tout déplacement lié à ses missions. Il dispose d’une voiture officielle dont le pare-brise s’orne d’une cocarde lumineuse et d’un chauffeur entraîné à se sortir des embouteillages et à éviter les manifestations. Il lui échoit également un accès gratuit à l’ensemble du réseau SNCF, en première classe.

RETRAITE CONFORTABLE

Georges Pompidou a été nommé premier ministre par Charles de Gaulle en 1962 et a endossé ce rôle jusqu’en 1968, durant une période capitale pour l’histoire française, marquée par la modernisation économique du pays, les événements de Mai 68 et l’instabilité politique. Son mandat a duré presque six ans. Un record de stabilité pour la deuxième fonction de l’État. En revanche, si le mandat le plus court a été celui de Michel Barnier, jusqu’à son difficile remplacement par François Bayrou, Jacques Chirac a été le seul a occuper deux fois – à dix ans d’intervalle – le fauteuil de premier ministre.

Depuis 1935, la résidence officielle de ce dernier, ainsi que ses bureaux, se trouvent dans l’hôtel de Matignon, le plus grand jardin privé de Paris avec ses 2 hectares de terrain et un intérieur d’une superficie de 6’200 m2. Le pavillon de la Lanterne, situé dans la région de Versailles, est affecté comme résidence secondaire au premier ministre, qui s’en sert d’ailleurs.

En général, le cabinet du premier ministre mobilise entre 50 et 80 collaborateurs. Par exemple, Édith Cresson (1991-1992) disposait de 70 auxiliaires. Un nombre qui peut varier légèrement en fonction des besoins spécifiques et des grands problèmes de l’époque. Le président de la République française, lui, dispose de 300 à 400 fonctionnaires, hauts et moins hauts. Là aussi, leur nombre dépend de l’urgence et de la complexité des dossiers à traiter. L’Hexagone ne compte pas moins de 60’000 hauts fonctionnaires. Ce chiffre comprend une large gamme de postes, de la direction de ministères à celles des grandes administrations publiques. Ainsi comprend-on l’importance estimée, souvent démesurée, des grands serviteurs de l’État. D’autant qu’ils bénéficient – souvent assez tôt – d’une très confortable retraite.

POUR CE QUI EST DU PASSÉ, J’AI FAIT LE PLEIN DE PREMIERS MINISTRES DURANT TROIS QUARTS DE SIÈCLE : DES SPORTIFS RESCAPÉS DES CHAMPS DE BATAILLE COMME JACQUES CHABAN-DELMAS ; DES HAUTS FONCTIONNAIRES PORTANT BIEN L’UNIFORME COMME PIERRE MESSMER ; DES PROFESSEURS AGRÉGÉS COMME RAYMOND BARRE.

SOUVENIRS DE CHRONIQUEUR

Pour ce qui est du passé, j’ai fait le plein de premiers ministres durant trois quarts de siècle : des sportifs rescapés des champs de bataille comme Jacques Chaban-Delmas ; des diplomates « aristo » comme Maurice Couve de Murville ; des hauts fonctionnaires portant bien l’uniforme comme Pierre Messmer ; des professeurs agrégés comme Raymond Barre ; des maires de grandes villes comme Pierre Mauroy ; des désespérés suicidaires comme Pierre Bérégovoy qui, appréhendant qu’on lui reproche le mauvais état de la France, se fi t conduire dans une clairière du bois de la Nièvre, éloigna son chauffeur puis se tira une balle dans la tête. Sans oublier le général de Gaulle qui remplaça avant terme René Coty, le dernier président élu par le parlement.

Qui se souvient encore de ce brave homme ? Moi qui, âgé désormais de 95 ans, me rappelle comme si cela datait d’hier l’avoir fréquenté presque quotidiennement et parfois d’être parti avec lui en vacances sur la Côte d’Azur.

Aujourd’hui, les caciques du pouvoir central sont beaucoup plus souvent accompagnés par des policiers que par des journalistes. Afin d’inverser la tendance, sans doute suffirait-il de nommer 365  premiers ministres par an – 366 les années bissextiles – tirés au hasard sur la liste complète des électeurs. Ils ne resteraient par définition que vingt-quatre heures à la tête de l’État. En donnant l’assurance de changer de programme tous les jours. Ainsi, aucun grand comique n’aurait plus la possibilité d’imposer sa loi et de concrétiser ses fantasmes. Désignés le matin et renvoyés le soir à leurs pénates, ils ne pourraient plus pousser leurs idées plus loin qu’une conférence de presse sans lendemain. C’est peut-être le secret de la réussite en politique : conserver les projets à l’état de tels et ne jamais pousser l’imprudence jusqu’à la réalisation.

Hélas ! On n’en est pas là. Le gouvernement continue à être confié à des professionnels qui, dans le meilleur des cas, ne connaîtront leur métier qu’une fois leur mission ratée.

Croyez-en un très vieux chroniqueur qui vient d’accéder à sa 96e année et qui n’a jamais tâté du suffrage universel autrement que comme électeur. L’âge où l’on honore ses contemporains plus souvent dans les cimetières que dans les bureaux de vote.

Je plains les professeurs qui enseigneront une histoire de France bifurquant chaque semaine. J’éprouve également beaucoup de commisération pour les élèves qui devront mémoriser des noms propres de politiciens pas toujours très nets.

La Suisse a adopté un système de gouvernement collégial dès 1848, lors de la création de la Constitution fédérale moderne. Son système politique est unique. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, la Suisse n’a donc pas de premier ministre, mais elle économise ainsi les dépenses et les erreurs de celui-ci qui est remplacé par dix-sept grands fabricants de chocolats.

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