N° 141 - Été 2023

Mario Botta, l’homme objet

L’infatigable architecte de Mendrisio produit aussi depuis plus de quarante ans des chaises, des vases, des montres et des lampes. Il était à Lausanne pour parler d’architecture et de design devant une salle pleine à craquer.

Il vient de fêter ses 80 ans. Huit décennies qui ont porté Mario Botta au sommet de l’architecture contemporaine avec ce style typique « que certains me reprochent d’avoir beaucoup répété dans ma carrière », s’amuse l’architecte devant l’auditorium de l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL) qui l’accueille pour une conférence. Une salle pleine à craquer pour écouter le maître qui présente sa vision de son métier – « l’architecture est sacrée » – et ses œuvres parmi lesquelles l’achèvement de l’extension de la Scala de Milan et beaucoup d’églises, de toutes les tailles et dans toutes les situations : au sommet d’une montagne du Tyrol, dans un village du Tessin, dans la campagne coréenne ou en Ukraine. Le chantier avait démarré avant l’invasion russe. La guerre ne l’a pas arrêté.

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(Claude Dussex)
Mario Botta.

PETITES ARCHITECTURES

Comme beaucoup d’architectes de sa génération, Mario Botta a aussi produit des objets. À l’ECAL, école de design, il est venu parler de la cinquantaine de chaises, vases, lampes, montres et tables qu’il a dessinés depuis 1982, date de Prima et Seconda, ses deux fauteuils emblématiques édités par la maison italienne Alias. Il avait alors 40 ans. « Je suis architecte, pas designer, insiste-t-il juste avant son intervention. Je n’ai jamais appris les processus de fabrication, les machines, les pratiques de l’artisanat. Le design est un parent de l’architecture, mais pas un de ses éléments structurels. Pour moi, ces objets sont comme de petites architectures. »

Les chaises Prima et Seconda.
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(Aldo Ballo)
Les chaises Prima et Seconda, les premières pièces de design de l’architecte, éditées par Alias en 1982.
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(Morelato)
Le fauteuil en érable édité par la maison italienne Morelato en 2013.

Des bâtiments en format réduit donc qu’il n’a jamais cessé de fabriquer. Sur son smartphone, l’architecte montre les photos de ses créations récentes. Il y a là un fauteuil tout cubique en érable pour la maison Morelato, spécialisée dans le bois. « Il était trop cher à produire en série. On a donc décidé d’en faire une édition limitée. » Et aussi de splendides casseroles noires dehors et bleues dedans « les couleurs de Le Corbusier ». Tout est parti d’un coup de fil. « Un fabricant italien d’ustensiles de cuisine m’appelle. C’était complètement inimaginable pour moi de faire ce type de produit, mais je suis quand même allé voir son usine. Par curiosité. C’est très important, la curiosité. » L’architecte tessinois se retrouve dans une fabrique gigantesque, « mais où les gens travaillaient à l’ancienne, comme les artisans de la Renaissance italienne. Ce genre de projet m’amuse. Ils m’apprennent aussi énormément. Le manche de la poêle par exemple. J’étais incapable de le faire. Je suis longtemps resté bloqué sur cet élément qui doit résoudre des problèmes de poids et de résistance. Et puis j’ai fini par trouver la solution. »

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(Junod)
La montre Generoso réalisée en collaboration avec l’horloger Pierre Junod en 2017.

DESIGN SUR APPEL

Après trois ans d’études et beaucoup de prototypes, les casseroles Mario Botta arriveront bientôt dans les rayons de la Migros, le fabricant étant celui qui fournit la collection Cucina & Tavola du géant orange. On s’étonne quand même de la méthode : il suffit donc de décrocher son téléphone et de demander M. Botta pour lancer un projet de design ? « Dans le temps oui, si j’étais disponible. Je l’ai peut-être été un peu trop d’ailleurs. Mais je viens d’une culture paysanne où l’entraide était une vertu cardinale. Si on vous demande quelque chose, c’est parce qu’il y a des gens qui doivent travailler, des usines qui doivent tourner et des matières qui doivent être utilisées. »

C’est toujours à la suite d’un appel que l’architecte dessinait en 2017 sa dernière montre. « L’horloger s’appelait Pierre Junod. Sa manufacture se trouvait dans sa cuisine à Bienne. Lui s’occupait du marketing tandis que sa femme montait les mouvements. J’aime bien faire des montres, c’est un peu ma suissitude à moi. En tout cas, je ne fais pas ces projets pour l’argent. Le grand designer Achille Castiglioni m’a dit un jour : ‹ Notre salaire, c’est la chose bien faite ›. Il voulait dire par là que le designer se nourrissait avant tout des petits détails et des savoir-faire que lui apportaient les artisans avec qui il travaillait. »

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(Horm)
Le fauteuil Charlotte porte le prénom de la femme de l’écrivain Friedrich Dürrenmatt. Il a été créé à l’occasion de l’exposition des dessins de l’écrivain au Kunsthaus de Zurich en 1994.

JEU DE HASARD

En 1994, l’architecte élabore la scénographie de l’exposition des dessins de Friedrich Dürrenmatt au Kunsthaus de Zurich. « Une rencontre importante avec un écrivain très profond et très ironique. Cela m’a décidé à créer un fauteuil pour son exposition, quelque chose en rotin de très enveloppant pour que les visiteurs puissent lire confortablement. Je l’ai appelé Charlotte, comme le prénom de la femme de Dürrenmatt. Si j’aime faire du design, c’est aussi parce que c’est quand même beaucoup plus rapide que l’architecture. Il faut compter dix ans pour construire un bâtiment. Dix ans… un morceau de vie », explique Mario Botta en montrant une table dont les innombrables pieds semblent avoir été placés au hasard. « Les nœuds du bois ont décidé de leurs emplacements. C’est la nature qui a dessiné cet objet, pas l’architecte. Pendant septante ans, j’ai travaillé comme un fou. Pourtant, je trouve encore des vides créatifs à remplir avec des formes expressives intéressantes à développer aussi bien dans l’architecture et les images que les objets et les couleurs. »

La lampe Shogun.
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(Aldo Ballo)
La lampe Shogun éditée par Artemide en 1985.

Manière de dire aussi que sous ses airs minimalistes, parfois rigoureux, on trouve de l’humour dans le design de Mario Botta. Avec son alternance de bandes noires et blanches, ses pieds en forme de geta (les sandales traditionnelles japonaises) et son interrupteur disposé pile au niveau du nombril, sa lampe Shogun de 1985, ressemble effectivement à une version comics d’un général de l’ancien japon. On l’associe naturellement à l’église San Giovani Battista construite par Botta à Mogno. « Il n’y a aucun lien entre elles. Mais la main qui dessine ce que la tête pense sont les mêmes, c’est vrai. Les regards extérieurs reconnaissent sans doute mieux ce genre de similitudes de langage que moi-même. » Un objet drôle dont on suppute aussi l’influence du groupe Memphis, ce collectif de designers emmenés à partir de 1981 par Ettore Sottsass pour mettre de la pop et du punk dans des intérieurs bourgeois pas franchement folichons. « On se connaissait bien avec Ettore. Même si du point de vue du caractère, nous étions plutôt antagonistes. Pour lui, qui créait des formes très colorées inspirées de la bande dessinée ou de la publicité, j’incarnais une sorte d’enfant puriste qui ne travaillait qu’en noir et blanc. »

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(Enrico Cano)
Cet ensemble de vases en bois de 1998 propose une variation sur le thème du tronc d’arbre coupé.

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