N° 142 - Automne 2023

L’immobilier c’est aussi du théâtre

La comédie, qui peut tourner à la tragédie, se joue quotidiennement à bureau ouvert et à débarras fermé. Avec l’unique objectif de transformer un certain nombre de mètres carrés en terrain d’entente.

Or, les acteurs ont des intérêts divergents… pour ne pas dire contradictoires. Le vendeur souhaite empocher le maximum et l’acheteur débourser le minimum. Sachant que, de toute façon, la douloureuse s’accroîtra des honoraires des uns, des factures de travaux des autres et d’une fiscalité faisant passer la rapacité de l’administration avant le confort des contribuables. Même l’expert censé donner son avis le fait payer. Le principal obstacle demeure cependant le refus de crédit qui, si on n’y prend pas garde, finira par mettre en faillite toutes les banques.

LES DÉCORS

Loge de concierge ; logement témoin ; boutiques d’agents immobiliers ; locaux visitables ; étude de notaire. Sans oublier les paliers érigés en miniforum d’étage, les ascenseurs qui font monter également les prix et les jardinets, presque aussi incultes que certains propriétaires. Mention spéciale pour les parkings ouverts que l’absence de murs, de portes, de fenêtres et de toits n’empêche pas de friser la valeur des garçonnières d’antan. Ne sous-estimons pas les caves qui, lorsque la Troisième Guerre mondiale sera enfin déclarée, passeront du statut de sous-sols non aménagés à celui d’abri antiatomique.

LES PERSONNAGES

Ils diffèrent selon le moment de leur entrée en scène, leur place dans la hiérarchie sociale ainsi que l’importance de leur rémunération.

La concierge : nouvelle venue dans ce qui mérite doublement d’être appelé distribution. Elle touche désormais des étrennes toute l’année en monnayant le renseignement glané en écoutant aux portes dont elle possède les clés. Cet « indic » appartient majoritairement au sexe féminin, mais porte assez souvent la moustache.

Le promoteur : il tient le rôle du producteur dans le monde du spectacle. Il a l’idée, la volonté, les relations mais pas toujours l’argent. Son image de philanthrope de l’habitat est ternie par sa manie d’empocher toujours beaucoup plus qu’il n’a investi.

L’agent immobilier : si l’affaire ne se conclut pas de gré à gré, le privilégié possesseur d’une carte professionnelle peut – en l’absence de limitation légale – percevoir jusqu’à 7% du montant de la transaction. Il intervient surtout au début et à la fin de la comédie. Entre-temps, il délègue ses pouvoirs à des secrétaires beaucoup moins rétribuées, mais plus sexy que lui. Dépositaire des convoitises, des détestations et des disponibilités, il at-tend avec sérénité l’étape décisive de la troisième visite.

Le notaire : même lorsqu’il ne s’agit que d’un modeste parking, on ne saurait se passer de la compétence et de l’arbitrage de celui qu’on appelait jadis un tabellion. Soutenu par ses clercs, il ne connaît pas de limite d’âge pour le passage à l’acte. Autour de sa grande table, tous les participants sont sensés. Seuls les papiers sont timbrés. Lorsque la vente dépasse le million, le cher maître offre le mousseux, prend une photo et se fend d’un petit discours.

L’architecte, le contremaître et les ouvriers : ils promettent d’améliorer encore ce qu’on qualifiait déjà un bien. Le maître d’œuvre, qui se vante d’avoir participé à l’édification de la 11e demeure du milliardaire Bernard Arnault, survit grâce à des 3-pièces-cuisine.

Le décorateur : facultatif, son recours se justifie moins par l’ambition d’un enjolivement que par le désir de dissimuler une laideur.

L’huissier : annonce, selon le degré de ses connaissances en droit, un visiteur ou une faillite.

Depuis quelques décennies, l’immobilier est donc devenu le métier favori de ceux qui n’ont pas réussi à faire fortune autrement et le passe-temps de pseudoacquéreurs. Lesquels, éternels locataires, dépourvus de capitaux et bénéficiant du refus de crédit.
Bref, il s’ensuit une théâtralisation au cours de laquelle chaque acteur défend ses intérêts.

QUELQUES RÉPLIQUES

Le vendeur. — Une terrasse ne va jamais sans plus-value.
L’acheteur. — Votre terrasse n’est qu’un petit balcon.

Le vendeur. — Je vous recommande l’ascenseur qui dispense d’utiliser les escaliers et le béton armé sans lequel les gratte-ciels n’auraient pas remplacé le camping.
L’acheteur. — Lorsque, sous l’effet d’un séisme, votre béton armé désarme, il fait beaucoup plus de victimes qu’une toile de tente emportée par la tempête.
Le vendeur. — Je n’ai pas ouï-dire qu’on bâtissait des gratte-ciels dans les campings.

Le marchand de biens. — Alors que ma spécificité professionnelle constitue déjà un brevet de perfectionnisme, je me donne beaucoup de mal pour faire encore mieux.

Le banquier. — Sans notre argent, les villages ne seraient jamais devenus des villes.
L’acheteur. — Sans votre argent, je ne serais pas aussi endetté.
L’insolvable. — Comme son nom l’indique, le capital passe avant la morale, la générosité et l’amitié.

Le locataire. — Nos charges sont toujours trop lourdes !Le syndic. — Elles augmenteront encore quand vous chargerez chez vous votre voiture électrique. Quant à la clim’, prenez en compte qu’elle vous offre des climats plus tempérés que le nôtre en vous faisant économiser les billets d’avion.

L’intermédiaire. — Il va nous falloir maintenant signer le compromis.
L’acquéreur potentiel. — Ce terme me déplaît, qui laisse à penser qu’on est contraint de faire des concessions ou qu’on est mêlé à une sale affaire.

Le notaire. — Malgré la grippe saisonnière et la canicule, les successions se font trop rares. Il faudrait, Madame Cerbère, que vous ciriez davantage les marches de vos escaliers.
La concierge. — Vous ne les trouvez donc pas propres ?Le notaire. — Je souhaiterais seulement qu’elles soient beaucoup plus glissantes…

Le plombier. — C’est mon tuyau : lorsqu’il ne cuit plus les aliments, le gaz de ville consume parfois les convives…

L’entrepreneur. — Le marbre est le seul luxe commun aux vivants et aux morts, et, parfois, aux pauvres et aux riches lorsqu’ils réclament qu’on grave leur nom en lettres d’or.
Le pauvre. — J’apprécierais que, quoi qu’il en coûte, mon nom soit gravé en lettres d’or !

L’acheteur. — Le voisinage avec un cimetière dévalorise un bien.
Le vendeur. — Au contraire, car il permet d’économiser le carburant du corbillard au moment de l’ultime parcours.

Le vendeur. — Comptez une majoration de 30% pour l’ensoleillement.
L’acheteur. — Prévoyez un rabais égal si la canicule s’amplifie.

Le notaire. — J’insiste sur le fait que la ristourne signifie à la fois une réduction consentie à un client et une commission accordée à un intermédiaire.
Le moraliste. — Dans l’immobilier, beaucoup plus de gens manient le chéquier que la truelle.

Tout cela posé, je croise les doigts pour que la recherche de la maison de vos rêves ne tourne pas au cauchemar ou que vous revendiez votre vieille bicoque dix fois plus cher que vous l’avez achetée. Et avec l’espoir que vous ne tombiez pas dans une ZAD, c’est-à-dire dans une zone où le bonheur est toujours différé…

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