Rainbow Falls à Hawaii. La cascade est enserrée dans la roche et la jungle.
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Rainbow Falls à Hawaii. La cascade est enserrée dans la roche et la jungle. © Hawaii Tourism
N° 119 - Printemps 2016

Les îles du Pacifique, terre des cow-boys, des chemises à fleurs et des surfeurs

De l’est australien à l’ouest américain, ceinturé au nord par les moiteurs asiatiques et au sud par les glaces de l’antarctique, le pacifique est le plus vaste des océans. Un tiers de la planète où s’incrustent des milliers d’îles, des centaines d’archipels et les images superbes, forgées par le talent de Gauguin, Stevenson, Loti ou Brel. Mais derrière le paravent flamboyant des tableaux, des romans et des chansons, vivent d’autres réalités, des histoires plus discrètes, presque secrètes. Des univers peuplés d’étranges méduses.

À la chair aussi douce que celle d’un enfant, de cités lacustres abandonnées, de pirates rescapés et de cow-boys qui portent la fleur à l’oreille comme ceux qui, ce matin, s’en vont travailler…

Les volcans d’Hawaii. Indomptables, ils peuvent, en quelques heures, sculpter un nouveau littoral.
Les volcans d’Hawaii. Indomptables, ils peuvent, en quelques heures, sculpter un nouveau littoral. © Hawaii Tourism
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Les volcans d’Hawaii. Indomptables, ils peuvent, en quelques heures, sculpter un nouveau littoral.
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Les volcans d’Hawaii. Indomptables, ils peuvent, en quelques heures, sculpter un nouveau littoral.
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Dans le sillage d’une éruption. La lave se fige en vagues noires aussi dures que de l’onyx.
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Dans le sillage d’une éruption. La lave se fige en vagues noires aussi dures que de l’onyx.
Dans le sillage d’une éruption. La lave se fige en vagues noires aussi dures que de l’onyx.
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En file indienne, dans les herbes blondes et soyeuses qui montent jusqu’au poitrail de leurs chevaux, les hommes avancent vers les collines de Waimea pour rassembler des vaches éparpillées. Le ranch Parker en compte 26 000 qui en font l’un des ranchs les plus grands des Etats-Unis. Installé sur l’île d’Hawaii, que tout le monde appelle Big Island pour éviter la confusion avec l’archipel qui porte le même nom, le ranch Parker, réputé pour ses Charolais et ses Angus, est une institution. Comme le sont les chemises à fleurs, les surfeurs et le culte d’Elvis Presley à Honolulu, sur l’île d’Oahu, à 300 km de là. Dans ce bar d’Hilo où les habitués l’ont applaudi avant même qu’il ne commence à jouer de sa guitare, Joe a la voix aussi douce que ses mains sont calleuses. Toute sa famille, aussi loin que la mémoire des siens puisse remonter, est née sur cette île, et chante du matin au soir. Joe, cow-boy chez Parker, est un fan d’Israel Ka’ano’i Kamakawiwo’ole, l’idole hawaïenne dont le cœur n’a pas supporté la charge d’un corps énorme. Certaines de ses mélodies ont navigué tout autour de la planète sans que la plupart des gens qui les fredonnent se doutent qu’elles sont nées sur cette île qui a pour habitude de mélanger les genres. « On trouve un peu de tout ici », rigole Joe, « des vaches dans des prairies qui ressemblent à celles du Wyoming et des dauphins comme à Tahiti, des cow-boys et des vulcanologues, du chaud et du froid… »

Hawaii, Yap, Vanuatu… Des regards qui ont fait rêver des générations d’artistes.
Hawaii, Yap, Vanuatu… Des regards qui ont fait rêver des générations d’artistes. © Hawaii Tourism
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Hawaii, Yap, Vanuatu… Des regards qui ont fait rêver des générations d’artistes.
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Hawaii, Yap, Vanuatu… Des regards qui ont fait rêver des générations d’artistes.
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Hawaii, Yap, Vanuatu… Des regards qui ont fait rêver des générations d’artistes.
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Quand les cratères sont en colère, les nuits sont orange, incrustées d’étoiles filantes qui jaillissent de la terre au ciel pour retomber comme des boulets de canon. Toute l’île porte les cicatrices de ces effusions volcaniques qui traversent les routes, embrasent les maisons et dévalent dans l’océan où, dans un bruit de forge, elles s’immobilisent, enfin, digues noires qui s’avancent dans les vagues. Sur cette peau de pachyderme, le long des routes, les amoureux laissent des messages de pierres blanches. Joe se souvient avoir tracé un cœur de galets pour sa première fiancée. L’île est connectée au cœur de la planète mais aussi aux mystères du ciel qu’elle étudie depuis les années 70 quand furent installés les premiers télescopes. Ancré à 4 200 mètres d’altitude, l’observatoire du Mauna Kea est un des plus importants au monde. Là-haut, la terre est presque rouge, aride et granuleuse, mais quand vient le mois de mars, la neige peut déployer une étole de poudreuse assez épaisse pour y skier. « La majorité des touristes va à Honolulu pour faire du shopping et boire des cocktails avec des ombrelles en papier plantées dans des tranches d’ananas », explique Joe qui ne boit que de la bière locale, « mais c’est ici qu’on trouve le véritable esprit hawaïen, on y parle toujours la langue de nos ancêtres et on n’a pas succombé au béton. »

Un hiver à Hawaii. Quand vient le mois de mars, on peut skier le matin et surfer l’après-midi.
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© Hawaii Tourism
Un hiver à Hawaii. Quand vient le mois de mars, on peut skier le matin et surfer l’après-midi.
Un hiver à Hawaii. Quand vient le mois de mars, on peut skier le matin et surfer l’après-midi.
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Un hiver à Hawaii. Quand vient le mois de mars, on peut skier le matin et surfer l’après-midi.
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Un hiver à Hawaii. Quand vient le mois de mars, on peut skier le matin et surfer l’après-midi.
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Un hiver à Hawaii. Quand vient le mois de mars, on peut skier le matin et surfer l’après-midi.
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Les pirates de Norfolk

A mi-distance entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, Norfolk est, elle aussi, d’origine volcanique, mais de taille beaucoup plus modeste, cernée de récifs bouillonnants, coiffée de grands pins. Sur les routes, les vaches sont prioritaires, preuve que le rythme du temps est ici plus lent. Encore accroché à ce passé qui fait la notoriété de ce territoire australien. Pas tant celui du bagne qui fut le plus épouvantable de l’hémisphère sud à une époque où Norfolk avait été surnommée l’Enfer du Pacifique, mais celui qui débute en 1856 alors que débarquent onze familles venues de l’île de Pitcairn. Elles sont les descendantes des révoltés du Bounty avec pour héritage la plus célèbre des mutineries. En avril 1789, le capitaine William Bligh et les dix-huit marins qui lui sont restés fidèles sont jetés à la mer ; ils vont parcourir 7 000 km dans une chaloupe, de Tonga à Timor. Une incroyable traversée, mais l’histoire retiendra surtout l’aventure des mutins menés par Fletcher Christian. Le cinéma en a fait des héros qui combattent la tyrannie d’un capitaine cruel et pervers. La vérité n’est pas aussi tranchée mais que peut un Bligh contre un Christian quand il est incarné par Errol Flynn, Marlon Brando ou Mel Gibson ? Ceux qui décident de s’installer à Tahiti seront retrouvés et pendus. Les autres mettront le cap sur l’île de Pitcairn où longtemps ils resteront cachés. Chaque année, les descendants des révoltés revêtent les costumes de leurs ancêtres et célèbrent le Bounty Day, le jour du débarquement. Ils se régalent d’être les seuls au monde à parler le Norfolk, ce patois qui mêle l’anglais du XVIIIe siècle et le tahitien le plus authentique. Ils naviguent rarement mais plantent légumes et fruits car, pour protéger l’île des insectes nuisibles et des maladies, leur importation est interdite. Si le tourisme est devenu la première industrie de cette petite île, il vaut mieux s’y rendre en avion, les bateaux peuvent attendre des jours pour s’en approcher tant le ressac, qui protégea le repaire des descendants du Bounty, est violent. Ce matin, sur le rivage, les habitants regardent le Seven Sea Mariner, si proche qu’ils peuvent en voir les passagers, coude à coude, au bastingage. Les croisiéristes ne débarqueront pas, le capitaine a jugé trop dangereux d’envoyer ses chaloupes…

Les paniolo. C’est le nom que l’on donne aux cow-boys d’Hawaii.
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© Hawaii Tourism
Les paniolo. C’est le nom que l’on donne aux cow-boys d’Hawaii.

Les monnaies de Yap

Sur l’île de Yap, en Micronésie, les pièces de monnaie ancestrales sont parfois plus hautes qu’un homme et aussi lourdes que cinquante ; elles sont disposées le long des sentiers qui traversent les villages. En 1929, les Japonais, qui avaient pris le contrôle de l’île après la Première Guerre mondiale et le départ des Allemands, en comptèrent 13 281. Elles changent de propriétaire, pas d’emplacement, et chacun sait à qui elles appartiennent. Elisa qui travaille dans la minuscule banque de l’île – un comptoir et trois chaises – connaît tous les lieux où se trouvent les pièces de monnaie dont sa génération est héritière : sous le vieux frangipanier, non loin d’un des rares restaurants de l’île ; sur ce chemin bordé de fougères arborescentes qui offrent la fraîcheur de leurs ombrelles vertes à ceux qui passent… « Comme un coffre à ciel ouvert », dit-elle en souriant. Les habitants de Yap allaient à 400 km de là, pour les tailler dans les carrières de Palau. Les expéditions duraient des semaines et souvent les pirogues, chargées d’un poids de baleine, chaviraient sur le chemin du retour. Les hommes perdus, et non pas la taille ou la beauté, faisaient la valeur de ces pièces. Au XIXe siècle, l’Irlandais David O’Keefe bouleversa l’ordre des choses et fit sa fortune en utilisant des voiliers pour transporter les pierres de Palau et des outils de métal pour les tailler en une circonférence si parfaite que les enfants de l’île les reconnaissent toujours au premier coup d’œil. « Les pièces d’O’Keefe ! » disent-ils d’une voix qui laisse entendre qu’elles ne comptent pas vraiment puisque le capitaine avait triché. Mais les gens de Yap le firent roi et acceptèrent de travailler pour lui en échange de cette belle monnaie alors que tous les colonisateurs s’étaient cassés les dents sur l’indifférence des indigènes. Il disparut en mer. Vaincu par un océan que, comme tant d’autres, il avait cru pouvoir dompter.

La cité lacustre de Nan Madol

Le canot de Sam glisse sur une eau brune qui se fragmente en un labyrinthe silencieux bordé de murailles et de jungle. Au loin, le récif gronde à voix basse comme pour respecter les âmes disparues. Elles furent jusqu’à 25 000 à vivre sur ces radeaux de pierre. Alors que l’Europe partait en croisade chrétienne dans les sables orientaux, la dynastie des Saudeleurs avait déjà, au creux du Pacifique nord, débuté la construction de sa cité lacustre. Au large de l’île de Temwen, elle-même au large de l’île de Pohnpei, comme s’il fallait, sans jamais la perdre de vue, s’écarter au plus loin de la terre ferme, fut construit Nan Madol, le lieu qui se trouve entre les lieux. Les fondations furent de cailloux et de corail, maintenus par des barres de basalte. Sur ces plateformes émergèrent 92 îles artificielles où la vie s’organisa avec la régularité des marées, cloisonnée selon les castes et les fonctions de chacun. Une île pour les soldats, une autre pour les serviteurs.

L’archipel de Palau. Il compte environ 400 îles dont 37 totalement protégées, un fragment de paradis interdit aux hommes.
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© Stanley Grold
L’archipel de Palau. Il compte environ 400 îles dont 37 totalement protégées, un fragment de paradis interdit aux hommes.
L’archipel de Palau. Il compte environ 400 îles dont 37 totalement protégées, un fragment de paradis interdit aux hommes.
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© Stanley Grold

Des hangars pour les pirogues et une piscine pour les tortues qui, l’heure venue, seraient offertes en sacrifice à la grande anguille de mer, messagère entre les dieux et les hommes. Le tunnel qui s’enfonçait dans les entrailles de Nan Madol où les prêtres emportaient les ossements des disparus pour méditer dans l’obscurité. Le gros rocher contre lequel les femmes enceintes frottaient leur ventre pour que l’enfant vienne sans peine et la fenêtre magique, le bassin où les Saudeleurs se penchaient pour surveiller Pohnpei. Le jeune Sam est heureux de raconter aux trop rares visiteurs ce qu’il sait de Nan Madol dont les archéologues ont gratté les entrailles. Les habitants de son village ne veulent pas s’aventurer ici, dans ces lieux qu’ils jugent tabous.

Les monnaies de Yap. Le long des chemins dorment les monnaies ancestrales.
Les monnaies de Yap. Le long des chemins dorment les monnaies ancestrales. © Stanley Grold
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Les monnaies de Yap. Le long des chemins dorment les monnaies ancestrales.
© Stanley Grold
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Les monnaies de Yap. Le long des chemins dorment les monnaies ancestrales.
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Son canot avance dans le dédale des canaux et accroche les jeunes palétuviers qui rampent dans la vase et tendent leurs doigts de caoutchouc vers la lumière. Ils tissent une toile végétale sur les temples effondrés dont les colonnes gisent sur la rive. La plupart des bâtiments se sont désarticulés au fil du temps mais demeure l’île fortifiée de Nan Douwas où furent enterrés les maîtres de la cité à l’abri de ces murailles qui dépassent la cime des cocotiers. La pierre a des reflets si métalliques que l’on s’étonne presque de ne pas l’entendre résonner quand on la frappe, des aiguilles de basalte dont la première carrière se trouve sur l’autre versant de Pohnpei. Les bâtisseurs certes n’eurent pas à tailler la roche. En se refroidissant, la lave se fissure avec une rigueur géométrique pour former des colonnes à pans coupés, mais il fallut les extraire de la montagne, transporter ces poutrelles de pierre dont certaines pèsent jusqu’à 50 tonnes et les ajuster les unes aux autres. « Comment ont-ils fait ? Ils avaient des pouvoirs ! » s’enthousiasme Sam. Mais la civilisation des Saudeleurs a disparu tout entière, engloutie dans le « keilahn aio », le gouffre du passé. Sur le chemin du retour, le vent se lève et trouble le lagon où voguent les raies Manta. La légende dit qu’au plus profond des eaux se dressent deux piliers qui indiquent l’entrée d’une autre cité dont Nan Madol ne serait que le reflet…

Terres protégées. Souvent les ressacs et les récifs ont gardé les hommes loin de ces îles.
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© Hawaii Tourism
Terres protégées. Souvent les ressacs et les récifs ont gardé les hommes loin de ces îles.
Terres protégées. Souvent les ressacs et les récifs ont gardé les hommes loin de ces îles.
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Terres protégées. Souvent les ressacs et les récifs ont gardé les hommes loin de ces îles.
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Terres protégées. Souvent les ressacs et les récifs ont gardé les hommes loin de ces îles.
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Terres protégées. Souvent les ressacs et les récifs ont gardé les hommes loin de ces îles.
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LES MÉDUSES DE PALAU

Par milliers, elles dansent, fragiles vaisseaux qui ne sont que voilure dans le vent des courants, dans ce lac d’eau salée, monde épargné au creux des Rock Islands. L’archipel de Palau est né d’une monumentale collision, de l’affrontement sous-marin des plaques tectoniques qui ont poussé au ciel des terres aujourd’hui sculptées par l’érosion des siècles. Plus de 200 îles à l’arrondi des billes, vertes de jungle, blanches du sable qui poudre leurs flancs. L’acidité de la pluie mêlée aux feuilles en décomposition les a lentement creusées de larges cavités qui ont été, à travers leurs parois de calcaire, infiltrées par la mer, formant 80 lacs où la vie a suivi un cours différent. Les minuscules organismes charriés par l’eau sont devenus des animaux dont le comportement a répondu à leur nouvel environnement. Dans le lac d’Eil Malk, les méduses Mastigias, privées de plancton, ont trouvé une nouvelle source d’approvisionnement : elles s’alimentent des sucres et des protéines que fabriquent les algues microscopiques qu’elles élèvent sur leur dos. Le jour, tournant sur elles-mêmes et autour du lac, les méduses transportent leur troupeau vers les zones ensoleillées pour qu’il profite de la lumière. La nuit, elles plongent pour le nourrir de phosphate et de nitrate. Alors qu’à quelques mètres de là leurs cousines de l’océan sont terriblement urticantes, les méduses du lac ont déposé leurs armes. N’ayant plus besoin de chasser pour se nourrir, leurs longs tentacules se sont repliés. De guerrières, les méduses sont devenues fermières. Tout comme les révoltés du « Bounty »…

Les méduses d’Eil Malk. Un cosmos de planètes translucides qui vont au rythme du soleil.
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© Martin Oswald
Les méduses d’Eil Malk. Un cosmos de planètes translucides qui vont au rythme du soleil.

Footnotes

Rubriques
Évasion

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