N° 121 - Automne 2016

L’euro est une grande réussite

Il paraît que Napoléon, à Sainte-Hélène, expliquait aux quelques fidèles qui l’entouraient que « techniquement » il avait gagné la bataille de Waterloo. De même, M. Trichet nous explique que la ligne Maginot a été un immense succès, ou plutôt que l’euro a été une grande réussite, ce qui revient à peu près au même.

L’EURO EST UNE GRANDE RÉUSSITE.

Jean-Claude Trichet, mai 2014

Soyons sérieux et cessons de prêter la moindre attention à ce que dit celui qui a été le fossoyeur de l’économie française, M. Trichet dont nul ne doute qu’il sera jugé très sévèrement par l’histoire. Regardons les chiffres pour commencer, et pour cela utilisons un petit graphique retraçant les variations de la production industrielle en France, en Allemagne et en Italie depuis 1980. De 1980 à 2000, les évolutions entre les productions industrielles de ces trois pays sont tout à fait équivalentes. Malgré des coûts et des systèmes sociaux fort différents, le système converge naturellement. Certes, l’Allemagne est plus efficace et plus productive, mais le système retourne à l’équilibre par des ajustements des taux de change chaque fois que cela devient nécessaire. Arrive la catastrophe de l’euro et toute convergence disparaît. Base 100 en 2000, la production industrielle de la France est à 88 (-12 %), celle de l’Italie à 78,9, (-21 %) tandis que celle de l’Allemagne est à 125 (+25 %). La moyenne européenne qui croissait de 2,5 % par an a depuis quasiment cessé de croître. Et à l’évidence, nous ne sommes plus devant un système convergent, et donc stable, mais devant un système divergent, c’est-à-dire instable et voué à l’explosion comme tout bon système divergent.

Que s’est-il donc passé ?

En 2003, j’ai écrit un livre intitulé Des Lions menés par des Anes, les Lions étant les entrepreneurs français et les Anes les Delors et Trichet et autres hauts fonctionnaires français, que personne n’avait jamais élus et qui allaient détruire l’économie de leur pays. Je concluais en disant que l’euro allait conduire à trop de maisons en Espagne, trop de fonctionnaires en France et trop d’usines en Allemagne et que donc il allait détruire l’Europe de la diversité que j’aimais par-dessus tout pour la rem-placer par ce lit de Procuste qu’était l’euro sur lequel les nations européennes allaient périr et leurs peuples avec elles. La réalité est toute simple : personne n’a jamais réussi à maintenir dans un taux de change fixe des pays qui avaient des taux de change différents, personne, jamais, sauf à ce que le pays qui a la productivité la plus forte ne colonise ceux qui ont des productivités plus faibles. La France, l’Italie, l’Espagne aujourd’hui doivent donc obéir à l’Allemagne, ce que l’on a bien vu au moment de la négociation avec la Turquie.

schéma euro
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@Institut des Libertés

Ces pays ont complètement perdu toute souveraineté et c’est à peine si les autorités outre-Rhin se soucient de pré-venir leurs protectorats des mesures qu’ils vont devoir appliquer. Et depuis la création de ce Frankenstein financier qu’est l’euro, j’assiste à la lente agonie de la Grèce, de l’Ita-lie, de la France, de l’Espagne, et j’enrage. Le rêve européen que je portais a été détruit pour être remplacé par un cauchemar dont plus personne ne sait comment sortir tant les dégâts de cette expérience inutile sont déjà gigantesques.

Revenons en arrière

Après la chute du mur de Berlin, l’Allemagne se réunifie, ce qui était bien son droit. Il apparaît alors à tout bon observateur que la monnaie européenne va être le DM puisque le pays est à la fois puissant et bien géré. Ce qui veut dire que le franc français deviendra un peu comme le peso mexicain ou le dollar canadien, une monnaie locale sans grand intérêt si ce n’est pour celui qui souhaite acheter de l’immobilier en France. Cette perspective affole l’un des grands centres de pouvoir en France, l’Inspection des Finances. L’idée qu’ils allaient perdre le pouvoir monétaire qui leur assurait depuis toujours de grasses rentes de situation les amène à entreprendre le siège du pouvoir politique pour que celui-ci n’accepte la réunification allemande qu’à condition que M. Kohl accepte l’euro, projet qui traînait dans leurs cartons depuis bien longtemps.

L’idée de nos chers inspecteurs des Finances était qu’eux s’occuperaient de la Banque centrale européenne et laisseraient « l ’intendance » aux industriels allemands. Kohl, gentiment, accepte, et M. Mitterrand sort tout content de la réunion en disant : « J’ai cloué les mains de l’Allemagne sur la table de l’euro. » On pouvait difficilement se tromper plus, et pourtant ce président s’était déjà beaucoup, beaucoup trompé dans sa vie. Mais cette erreur-là, c’est le peuple qui la paie, et chèrement. Car une monnaie dans un pays est un bien commun, un peu comme un jardin public.

C’est au travers de la monnaie que s’exprime la « Volonté de vivre ensemble » constitutive de ce qu’est une Nation. Pour que cette volonté de vivre ensemble s’exprime, il faut qu’une entité ait le monopole de la violence légitime, et cette entité c’est l’Etat bien sûr. Cet Etat va prélever des impôts, dans cette monnaie, et le cas échéant procéder à des transferts sociaux pour que cette volonté de vivre ensemble perdure.

UNE MONNAIE DANS UN PAYS EST UN BIEN COMMUN, UN PEU COMME UN JARDIN PUBLIC.

Prenons un exemple

La France a deux fois plus de fonctionnaires pour 10 000 habitants que l’Allemagne. Si c’est le prix à payer pour que cette volonté de vivre ensemble soit pérenne, je n’y vois aucun inconvénient. Par contre, si cela est le cas et que personne n’envisage la moindre réforme sérieusement en France (ce qui était bien sûr la position de MM. Mitterrand, Chirac, Sarkozy ou Hollande), alors il est tout simplement criminel d’avoir un taux de change fixe avec l’Allemagne puisque cela revient à condamner à mort tous les entrepreneurs qui sont en concurrence avec des producteurs outre-Rhin. C’est ce que montre le graphique. Et quand les entrepreneurs disparaissent, la croissance disparaît, le chômage explose avec les déficits budgétaires, ce qui à terme met en danger tout notre système de protection sociale et donc la survie de la Nation. Jamais une classe dirigeante française n’a autant trahi son pays, jamais. Et le pire, c’est qu’ils en sont fiers, comme le montre la réflexion de M. Trichet. Ils me rappellent le général Gamelin, le grand responsable de la déroute française en 1940, écrivant ses Mémoires pour se justifier à la fin des années 40. Quand on est responsable d’un désastre, le mieux est de se retirer et de se taire.

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