N° 116 - Printemps 2015

Dialogue sur la gauche et la droite

– Alors, pas trop déçu par François Hollande ?
– Disons que je refuse de l’accabler. Il fait un métier tellement difficile !
– Je vous accorde que votre pays est plus difficile à gouverner que la Suisse… Mais que d’atermoiements, chez votre président ! Il a perdu au moins dix-huit mois, au début de son quinquennat, avant de s’attaquer vraiment aux choses sérieuses.
– Le chômage ?
– Plutôt les moyens de le combattre efficacement. Si les emplois aidés et la redistribution suffisaient, il y a belle lurette que le chômage, en France, aurait disparu. Or il n’a jamais été aussi haut…
– Je ne suis guère compétent en matière d’économie, mais je serais porté à vous donner raison. Cela dit, reconnaissez que, depuis la conférence de presse de janvier 2014, les choses sont plus claires. Le cap est fixé : réduction des déficits publics, relance de la croissance par une politique de l’offre plutôt que de la demande, combat pour la compétitivité, réformes de simplification et peut-être de flexibilité du marché du travail… La plupart des économistes semblent convaincus que c’est la seule voie.
– C’est aussi ce que je pense. Mais cela vous donne tort, à vous, homme de gauche : la seule politique qui marche, c’est une politique de droite. Pas étonnant que les « frondeurs », au Parti socialiste, s’en offusquent ! Ce n’est pas pour cette ligne-là qu’ils avaient voté…
– En quoi est-ce une politique de droite ?
– C’est une politique libérale, et le libéralisme est à droite.
– Je n’en crois rien. La liberté est aussi une valeur de gauche !
– En matière de politique et de mœurs, oui, sans doute. Mais en matière d’économie ? Etre de gauche, c’est compter sur l’Etat plutôt que sur le marché.
– Comme s’il fallait choisir entre les deux ! Vous avez trente ans de retard. Nous n’en sommes plus à l’époque de Margaret Thatcher et de Georges Marchais !
– Ces deux-là ne boxaient pas dans la même catégorie…
– Certes ! Il n’en reste pas moins que la vie politique, au début des années 1980, semblait vous donner raison. Etre de droite, en gros, c’était être pour le marché, contre l’Etat, du moins dans la vie économique. Et être de gauche, à l’inverse, c’était être pour l’Etat, contre le marché. Qui ne voit que cette dichotomie est dépassée ? Tout ce que la droite et la gauche comportent d’intelligence, dans nos pays, s’accorde aujourd’hui à reconnaître qu’il n’y a pas à choisir entre l’Etat et le marché, puisque nous avons besoin des deux : du marché pour tout ce qui est à vendre, et c’est très important ; de l’Etat pour tout ce qui n’est pas à vendre, et c’est évidemment essentiel.

– Qu’est-ce qui n’est pas à vendre ?
– La justice, la liberté, la dignité, la santé…
– Je vous l’accorde, quoiqu’il y ait un marché du médicament…
– Parce que le médicament est en effet une marchandise. Mais la santé, non. Personne ne peut accepter, dans nos pays, qu’un enfant malade ne soit pas soigné sous prétexte que ses parents sont trop pauvres pour payer le médecin ou les médicaments.
– C’est pourquoi on a inventé la Sécurité sociale…
– Laquelle protège la santé, qui n’est pas une marchandise, contre l’invasion autrement inévitable du modèle marchand. C’est la bonne voie, et c’est une voie de gauche !
– Sauf que vous n’avez plus les moyens de financer ce fameux modèle social, dont vous êtes si fiers ! Ce sont vos enfants ou vos petits-enfants qui paieront, lorsqu’il faudra rembourser vos dettes. Drôle de conception de la justice !
– Un homme de gauche ne peut donc l’accepter. Réduire les déficits, ce n’est pas une politique de droite : c’est une mesure de justice sociale. Il s’agit de protéger les plus faibles et l’avenir, y compris s’il faut pour cela remettre en cause quelques avantages acquis.
– Ce n’est pas moi qui dirai le contraire. C’est bien pourquoi je suis libéral. Mais quel reniement, pour vos amis socialistes, et que de temps perdu ! Ils sont passés de Marx à Keynes, c’était déjà un progrès. Il leur reste à comprendre que le keynésianisme, dans une économie mondialisée, atteint vite sa limite. Relancer la croissance par la consommation, c’est augmenter les importations : cela creuse le déficit commercial sans créer d’emplois ! D’où l’échec de Mitterrand, en 1981, et le tournant de la rigueur, en 1983…
– C’est précisément ce qui distingue François Hollande et Manuel Valls de Mitterrand ou de Maurois. Vous devriez au moins leur en donner acte !

– Je le fais volontiers. Vous avez fini par comprendre, y compris en France et y compris à gauche, que l’Etat n’était pas très bon pour créer de la richesse : le marché et les entreprises le font plus et mieux.
– C’est pourquoi Lionel Jospin a privatisé toute une partie de ce qu’Alain Juppé n’avait pas eu le temps de privatiser…
– Ils ont eu raison l’un et l’autre.
– Mais il serait temps de comprendre, y compris à droite, que le marché et les entreprises ne sont pas très fiables pour créer de la justice. Seuls les Etats ont une chance d’y parvenir à peu près !
– Là-dessus, je suis d’accord. C’est ce qui me distingue des ultralibéraux, qui croient que le marché suffit à tout.
– Comme je me distingue de ceux, à gauche, qui croient que l’Etat peut tout…
– Au fond, vous êtes un social-libéral, comme Manuel Valls.
– Pourquoi non ? L’expression ne me choque pas.
– Mais la gauche française n’en veut pas. Même votre président refuse de se dire tel. Il aime mieux se déclarer « social-démocrate ». C’est plus prudent, ou plus politiquement correct…
– Il faut bien qu’il fasse avec les lourdeurs ou les archaïsmes de son camp. Au fond, qu’est-ce que le social-libéralisme ? C’est la social-démocratie confrontée aux contraintes de la globalisation, et qui l’assume. Cela vaut mieux que l’aveuglement ou la dénégation !
– Mais je vous repose ma question : en quoi est-ce une politique de gauche ?
– Par les fins qu’elle poursuit. Ce qui fait qu’une politique est de droite ou de gauche, ce n’est pas le choix des moyens (comme si toute intervention de l’Etat était de gauche, comme si toute libéralisation était de droite !), ce sont les buts qu’elle vise. Une politique est de gauche si elle se met au service du plus grand nombre, à commencer par les plus pauvres ou les plus faibles. Or qui sont les plus faibles ? Les enfants nés ou à naître. Qui sont les plus pauvres ? Les chômeurs et les SDF. L’urgence, pour une politique de gauche, c’est donc de réduire l’endettement (pour protéger les générations futures), de préserver l’environnement (pour la même raison), de faire reculer le chômage et de construire des logements. Si des mesures libérales y parviennent plus efficacement que l’étatisme, c’est elles qu’un homme de gauche doit choisir. L’efficacité, ici, importe davantage que l’idéologie.

Réduire les déficits, ce n’est pas une politique de droite : c’est une mesure de justice sociale.

– Vous savez ce que disait Deng Xiaoping : « Quelle que soit sa couleur, le bon chat, c’est celui qui attrape les souris. »
– Il avait raison. Faut-il pour autant renoncer à toute régulation, à toute intervention de l’Etat ? Evidemment pas (en matière d’écologie ou d’urbanisme, ce serait une catastrophe). Bref, j’y reviens, il n’y a pas à choisir entre l’Etat et le marché. Il y a à placer le curseur, entre l’un et l’autre, à le déplacer parfois, en fonction des domaines et des moments, et en privilégiant le pragmatisme plutôt que le dogmatisme.
– Mais le pragmatisme n’est ni de droite ni de gauche, pas plus d’ailleurs, soit dit en passant, que le souci des plus faibles ou des plus pauvres ! D’ailleurs chacun sait bien que Juppé ou Sarkozy, s’ils gagnent les prochaines élections, iront peut-être plus loin ou plus vite que Valls ou Hollande aujourd’hui, mais au fond dans la même direction…
– Rien là de scandaleux, d’un point de vue économique : ils défendent les intérêts d’un même pays, dans un même monde ; ils sont soumis aux mêmes contraintes. Comment n’auraient-ils pas, pour une part, les mêmes objectifs ?
– Pourquoi, alors, parler de droite et de gauche ?
– Parce que l’économie n’est pas tout. La gauche est plus attachée à la justice qu’à l’ordre. La droite, c’est l’inverse…
– Mais l’économie n’est pas rien. Et quelle justice dans le désordre ?
– C’est pourquoi on a besoin d’une droite et d’une gauche…
– A la gloire de la démocratie et de l’alternance !

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