L’église Santa Maria Goretti, à Mormanno en Italie.
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(Ducio Malagamba)
N° 142 - Automne 2023

Églises cultes

Souvent perçue comme froide et distante, l’architecture contemporaine met en réalité fréquemment la lumière et la géométrie au service de la spiritualité.

L’image populaire de l’église est souvent celle d’une structure ancienne, voire surannée. On sait que l’architecture contemporaine a abordé le sujet des édifices religieux, mais ceux-ci sont bien plus répandus qu’on ne le pense. Il existe un effort constant et sans cesse renouvelé pour que l’architecture réponde à l’image de la spiritualité, et ce au-delà de toute dénomination ou religion spécifique. En fait, très peu d’architectes vivants parmi les plus célèbres au monde n’ont pas conçu une église ou une chapelle.

L’église Santa Maria Goretti, à Mormanno en Italie.
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(Ducio Malagamba)
L’église Santa Maria Goretti, à Mormanno en Italie. Bâtie par l’architecte Mario Cucinella en 2021, elle est consacrée à Maria Goretti (1890-1902), la plus jeune sainte de l’Église catholique.

IMMACULÉE CONCEPTION

L’une des églises les plus fréquemment reproduites est la Church of the Light (église de la Lumière) de Tadao Ando (Ibaraki, Osaka, Japon, 1989). Essentiellement constituée d’un bloc rectangulaire en béton coupé à un angle de 15 degrés par un mur indépendant, l’église de la Lumière est surtout célèbre en raison de l’ouverture cruciforme derrière son autel. Le photographe japonais Hiroshi Sugimoto a pris une image remarquable de l’édifice avec cette croix qui brille d’une lumière presque préternaturelle. Cette photo suggère qu’au-jourd’hui en architecture, l’abstraction peut être capable de capturer ce qui est spirituel avec plus d’aisance que les formes et les images anciennes.

En 2013, le célèbre architecte minimaliste John Pawson a eu l’occasion de moderniser l’église catholique Saint-Moritz à Augsbourg, en Allemagne, dont l’origine remonte au XIVe siècle. Bien que reconstruite après la Seconde Guerre mondiale, l’église a conservé encore une partie du caractère des lieux de culte baroques lorsque Pawson a pris un chemin apparemment différent. Il a simplifié l’architecture radicalement et peint les intérieurs en blanc, tout en couvrant les fenêtres de l’abside avec de fines feuilles d’onyx blanc translucide. Selon l’architecte, « le but de cette intervention a été de réajuster l’architecture existante, d’un point de vue esthétique, fonctionnel et liturgique, avec des considérations d’atmosphère sacrée toujours au cœur du projet ». Bien que surprenante, dans un sens, cette transformation blanche d’une église parle directement au sens moderne du sacré, qui culmine ici dans une lumière diffuse qui inonde une structure d’inspiration plus traditionnelle.

L’église Saint-Moritz à Augsbourg en Allemagne.
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(Gilbert McCarragher)
L’architecte John Pawson a choisi une ambiance virginale et minimale pour l’église Saint-Moritz à Augsbourg en Allemagne.

La Biennale d’architecture de Venise 2018 a vu une présence religieuse des plus inhabituelles sous la forme de dix chapelles érigées au nom du Saint-Siège dans les jardins de la Fondation Cini sur l’île de San Giorgio Maggiore, à proximité de la basilique d’Andrea Palladio construite en 1610. Sous le commissariat du critique italien Francesco Dal Co, les chapelles présentées sont l’œuvre d’architectes tels que Eduardo Souto de Moura, Smiljan Radic, Carla Juaçaba, Sean Godsell, Terunobu Fujimori et Norman Foster. Le projet de ce dernier, l’une des rares œuvres religieuses du maître anglais, commence par « trois croix symboliques placées dans le paysage, drapées d’une membrane en forme de tente ».

Au fur et à mesure de l’évolution du projet, les croix sont devenues une structure en « tenségrité » composée de câbles et de mâts, tandis que la membrane s’est transformée en un treillis de bois attaché à la structure. La chapelle de 128  mètres carrés s’élève à une hauteur de 6,8 mètres et compte 21 mètres de long, avec une rampe en acier et un plancher en bois. Bien que partiellement fermée par 1200  fines lamelles en mélèze, la chapelle, aujourd’hui r ecouverte de jasmin, est essentiellement ouverte sur les jardins. Contrairement à la plupart des édifices chrétiens de ce type, elle n’est pas entièrement axiale, se tournant vers la droite à mesure que les visiteurs s’approchent d’une ouverture sur la lagune. Dans ce cas, Norman Foster prend un projet à petite échelle et en fait une déclaration puissante sur les liens entre le passé et le présent de l’architecture, affirmant simultanément la technologie et une forme de spiritualité dans la même modeste chapelle.

La chapelle de l’architecte Norman Foster
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(Foster and Partners)
La chapelle de l’architecte Norman Foster, érigée pendant la Biennale d’architecture de 2018 sur l’île de San Giorgio Maggiore à Venise, sous l’égide du Saint-Siège.

Dans le contexte contemporain, certains bâtiments religieux échappent à toute classification habituelle. Tel est clairement le cas de l’Abrahamic Family House, inaugurée le 1er mars 2023 sur l’île de Saadiyat à Abou Dhabi. Conçue par David Adjaye, cette Maison de la famille abrahamique réunit sur le même site les trois religions du livre (islam, christianisme et judaïsme) dans une mosquée, une église et une synagogue. « Je crois que l’architecture devrait s’efforcer de consacrer le genre de monde dans lequel nous voulons vivre, un monde d’acceptation, d’ouverture et de progrès constants, déclare David Adjaye. En tant qu’architecte, je veux créer un bâtiment qui commence à s’élever au-dessus de la notion de différence hiérarchique et qui renforce la richesse de la vie humaine. Nous espérons qu’à travers ces bâtiments qui célèbrent trois religions distinctes, les personnes de toutes les confessions et de toute la société pourront apprendre et s’engager dans une mission de cœxistence pacifique pour les générations à venir. »

Les trois lieux de culte sont placés sur un socle surélevé d’une superficie de 21’000 mètres carrés, avec un jardin qui sert également à unifier les bâtiments. Ils partagent une forme de base, cubique, de 30 mètres de côté, offrant de l’espace pour 200 à 300  fidèles chacun, mais chaque bâtiment prend en compte les références religieuses spécifiques concernées. Ainsi, la mosquée Imam Al-Tayeb est orientée vers La Mecque, l’église Sa Sainteté François fait face au soleil levant – « la lumière étant considérée comme symbolique de la divinité », – et la synagogue Moïse Ben Maïmon est tournée vers Jérusalem. À une époque où les conflits religieux sont fréquents, David Adjaye affirme ainsi que la spiritualité exprimée par l’architecture peut aider à réunir les personnes de croyances différentes.

La Maison de la famille abrahamique sur l’île de Saadiyat à Abou Dhabi.
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(Dror Baldinger)
La Maison de la famille abrahamique sur l’île de Saadiyat à Abou Dhabi. Conçue par David Adjaye, l’ensemble regroupe sur un même sites une mosquée, une église et une synagogue.

INFLUENCES BYZANTINES

Une autre église s’est élevée récemment sur une plateforme, cette fois à la limite de l’ancien site du World Trade Center à Manhattan. La Saint Nicholas Greek Orthodox Church & National Shrine de Santiago Calatrava a été ouverte au public le 6 décembre 2022, huit ans après la pose de sa première pierre. Calatrava est également l’architecte du World Trade Center Transportation Hub (2003-16), qui, avec ses « ailes » en acier de 51 mètres de haut, est l’élément le plus reconnaissable du complexe. L’ancienne église orthodoxe grecque, située au plus près de la tour sud de l’ancien World Trade Center, a été la seule structure religieuse détruite lors des attentats du 11 septembre 2001. En 2008, l’autorité portuaire de New York a acheté le terrain sur lequel elle se trouvait et s’est engagée à lui fournir un nouveau site, trois fois plus grand et situé à moins de 50 mètres à l’est, à Liberty Park. L’édifice devait initialement être inauguré en 2016, mais une série de problèmes juridiques et financiers liés aux clients et aux constructeurs ont retardé le projet. Calatrava a soigneusement étudié l’architecture et l’art byzantins et a trouvé son inspiration dans une mosaïque représentant la Vierge Marie sur le Trône de la Sagesse à Sainte-Sophie, à Istanbul, construite à l’origine comme une église orthodoxe grecque.

La Saint Nicholas Greek Orthodox Church & National Shrine de Santiago Calatrava à New York.
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(Alan Karchmer)
La Saint Nicholas Greek Orthodox Church & National Shrine de Santiago Calatrava à New York. Ouverte en décembre 2022, elle remplace l’ancienne église grecque orthodoxe détruite lors des attentats du 11 septembre 2001.
La Saint Nicholas Greek Orthodox Church & National Shrine de Santiago Calatrava à New York.
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(Alan Karchmer)
La Saint Nicholas Greek Orthodox Church & National Shrine de Santiago Calatrava à New York. Ouverte en décembre 2022, elle remplace l’ancienne église grecque orthodoxe détruite lors des attentats du 11 septembre 2001.

PHARE DANS LA NUIT

À l’instar de la coupole de Sainte-Sophie, le projet de Calatrava pour Saint-Nicolas comporte quarante nervures marquées par quarante fenêtres. De minces panneaux stratifiés de pierre et de verre sont éclairés par l’arrière et font briller le dôme lorsqu’on le voit de l’extérieur, la nuit. L’architecte espagnol a choisi le même marbre pentélique que celui utilisé pour les façades du Parthénon d’Athènes. À l’intérieur, les peintures que l’on voit sur place ont été exécutées par un moine-prêtre au monastère de Xenonphontos sur le mont Athos et apportées à New York avant l’ouverture. « Je voulais créer un espace qui s’adresse directement à la liturgie orthodoxe grecque traditionnelle, tout en honorant le lien de l’église avec le site du mémorial du World Trade Center, explique Santiago Calatrava. C’est pourquoi la mosaïque de Sainte-Sophie a joué un rôle fondamental dans la définition de la forme de l’église orthodoxe grecque Saint-Nicolas. L’utilisation du marbre pentélique ajoute un autre niveau de symbolisme, puisque le Parthénon en Grèce était fait du même matériau, et que je considère Sainte-Sophie comme le Parthénon de l’orthodoxie. La création de la coupole en pierre et en verre mince, illuminée de l’intérieur, vise également à évoquer le sentiment d’être un phare d’espoir au milieu de la nuit. »

La croix qui surgit de l’église de la Lumière de Tadao Ando
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(Hiroshi Sugimoto)
La croix qui surgit de l’église de la Lumière de Tadao Ando à Osaka prise par le photographe Hiroshi Sugimoto.

L’architecte Mario Cucinella, né à Palerme en 1960, a travaillé comme chef de projet dans l’atelier de Renzo Piano à Gênes (RPBW) de 1987 à 1992, date à laquelle il a ouvert sa propre agence. Depuis lors, il a créé un ensemble d’œuvres innovantes, dont une maison récente réalisée en terre crue avec une imprimante 3D (Terra, Ravenne, Italie, 2021). Son église Santa Maria Goretti (Mormanno, Cosenza, Italie, 2021) est dédiée à Maria Goretti (1890-1902), la plus jeune sainte de l’Église catholique.

Inspirée par les églises de Calabre, le sanctuaire est accessible par une haute ouverture dans l’une de ses quatre absides en béton blanc. Cette entrée forme une croix extérieure qui est éclairée par l’arrière la nuit, rendant l’église visible à une distance considérable. À l’intérieur, haut de 16 mètres, un tissu translucide surprenant est suspendu en vagues. Selon l’architecte, cette idée est née d’une « orientation résolue vers l’eucharistie, la prière et… les géométries des églises baroques les plus fascinantes d’Italie, notamment San Carlo alle Quattro Fontane et Sant’Ivo alla Sapienza de Francesco Borromini, toutes deux situées à Rome ». Comme Calatrava, Cucinella a collaboré avec un artiste pour ce projet. Giuseppe Maraniello a créé pour l’église un lutrin, un tabernacle, des fonts baptismaux et une figure de la Vierge Marie en pierre, en bronze et en mosaïque. « Concevoir une église est un message de continuité avec l’esprit de l’art qui a traversé imperturbablement les siècles de l’humanité », relève l’architecte.

Tout cela démontre la richesse de la conception contemporaine des églises, mais aussi la tendance plus profonde vers une architecture qui s’inspire en partie du passé, à la recherche d’exemples qui sont fondés sur un sens de la spiritualité largement partagé. Sur le plan structurel, la chapelle de Venise de Norman Foster est la plus innovante. Elle est ouverte, désaxée, recouverte de vignes, mais d’une technicité imparable. Les autres cas recherchent un précédent religieux spécifique qu’ils rendent moderne en utilisant la géométrie et la lumière, des éléments de langage de notre époque. Par sa simplicité fondamentale, l’église de la Lumière de Tadao Ando reste un exemple exceptionnel de la sublimation et de l’incarnation de la religion dont est capable l’architecture contemporaine.

L’église Santa Maria Goretti
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(Ducio Malagamba)
L’église Santa Maria Goretti de Mario Cucinella et son ciel baroque.

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