N° 135 - Été 2021

L’art reprend cours à la bourse

Implantée au centre de Paris, mais oubliée de tous, la Bourse de Commerce va revivre grâce à l’homme d’affaires François Pinault et à l’architecte japonais Tadao Ando. C’est ici, en plus de Venise, que sera exposée l’extraordinaire collection d’art de l’entrepreneur français.

#135 – Architecture – La colonne Médicis du XVIe siècle.
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© Vladimir Partalo
L’extérieur du bâtiment, proche de l’église Saint-Eustache, du Forum des Halles et du Louvre est resté inchangé. Notamment sa célèbre colonne Médicis du XVIe siècle.

Ce fut longtemps un lieu magnifique, mais délaissé, en plein coeur de Paris. Les habitants de la capitale française et les touristes passaient devant sans s’arrêter, sans y prêter attention, préférant s’engouffrer dans l’immense centre commercial du Forum des Halles, situé à deux pas. Ou marcher quelques centaines de mètres vers la Seine et partir découvrir le Musée du Louvre. Dès que la situation sanitaire le permettra, le monde entier va redécouvrir la Bourse de Commerce. Une chose est sûre : il ne sera pas déçu !

EMPIRE DU LUXE

En 2016, la maire de Paris, Anne Hidalgo, annonce que le bâtiment historique, splendeur érigée aux XVIIIe et XIXe siècles, est disponible pour une rénovation et une transformation en lieu artistique. Ancien ministre de la Culture sous Jacques Chirac, directeur général de la collection Pinault, Jean-Jacques Aillagon raconte : « Quand j’ai su par la Ville de Paris que ce bâtiment devenait disponible, j’ai aussitôt proposé à François Pinault de venir le visiter. Il l’avait fréquenté à l’époque où c’était encore la bourse de commerce au sens propre. Il a été convaincu et nous avons pu engager une discussion avec la Ville pour y accueillir sa collection. » Pour rappel, le milliardaire François Pinault est le propriétaire des grands magasins Le Printemps, La Redoute, de la Fnac, de la célèbre maison d’enchères Christie’s, de l’empire du luxe Kering (Gucci, Yves Saint Laurent, Bottega Veneta, Alexander McQueen, Balenciaga, Boucheron) et du magazine Le Point, entre autres… Il est aussi l’un des plus grands collectionneurs d’art contemporain du monde, installé dans deux lieux emblématiques à Venise : La Punta della Dogana et le Palazzo Grassi, dont il est le propriétaire.

L’architecte japonais Tadao Ando a dessiné un cercle de 9 mètres de haut à l’intérieur de la rotonde centrale.
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© Maxime Tétard
Mandaté par la Fondation Pinault, l’architecte japonais Tadao Ando a dessiné un cercle de 9 mètres de haut à l’intérieur de la rotonde centrale, surplombée par une coupole en métal.

AU COEUR DE PARIS

Vu de l’extérieur, rien n’a changé. Le bâtiment, classé, a été scrupuleusement restauré dans son état de référence de 1889. Son fronton colossal se dresse toujours fièrement face à la rue du Louvre. Sa coupole de verre et de métal culminant à presque 40 mètres de haut et sa colonne Médicis du XVIe siècle dominent toujours le jardin des Halles, également rénové ces dernières années avec la transformation du quartier. Seule l’église Saint-Eustache, l’une des plus grandes de Paris, n’a pas changé au fil des siècles. C’est donc ici, en plein coeur du 1er arrondissement, que François Pinault a décidé d’installer sa collection. « Il m’aura été donné, dans ma vie professionnelle, de conduire beaucoup de grands chantiers, reprend Jean-Jacques Aillagon : celui de la première rénovation du Centre Pompidou ; celui, sans fin, de la restauration du château de Versailles et de ses jardins ; celui du réaménagement du Palazzo Grassi puis de la Punta della Dogana à Venise. Ces deux derniers chantiers, engagés à l’initiative de François Pinault, m’ont permis, chaque fois, de mesurer à quel point il était passionnant de faire travailler ensemble des architectes chargés de monuments historiques et des architectes contemporains, surtout quand il s’agit de géants légendaires comme Tadao Ando. »

C’est justement le maître japonais qui a été choisi pour le chantier parisien. Au cours des vingt-cinq dernières années, son agence a été à l’origine de nombreuses réalisations d’envergure, dont le Musée d’Art moderne de Fort Worth, The Pulitzer Foundation for the Arts aux États-Unis, le Centre de recherche Benetton Communication à Trévise en Italie. Les réalisations de Tadao Ando ont été saluées par le prix Pritzker d’architecture, la médaille d’or de l’American Institute of Architects. C’est elle qui avait été chargée déjà de la rénovation et de la préservation du Palazzo Grassi. « En hommage à la mémoire de la ville, gravée dans les murs de la Bourse de Commerce, j’ai créé un nouvel espace qui s’emboîte à l’intérieur de l’existant pour revitaliser l’ensemble du volume qui sera consacré à l’art contemporain, explique Tadao Ando. L’architecture comme trait d’union entre le passé, le présent et le futur. »

La Bourse de Commerce.
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© Marc Domage
Tadao Ando explique son projet : « J’ai créé un nouvel espace qui s’emboîte à l’intérieur de l’existant. L’architecture comme trait d’union entre le passé, le présent et le futur. »

LIEU DE VIE

La Fondation Pinault a signé un bail de cinquante ans avec la Ville de Paris. Avec l’obligation de respecter scrupuleusement l’identité du lieu. Tadao Ando, accompagné des jeunes architectes parisiens de l’agence NeM, a dessiné un cercle à l’intérieur du bâtiment, surmonté d’une coupole en métal. Le grand hall a gardé sa superbe d’origine avec ses colonnes néoclassiques. De là, on gagne la rotonde centrale où apparaît un grand anneau de béton blanc. Comme un mur circulaire de 9 mètres de haut et 29 mètres de diamètre. Au-dessus, la coupole, la première en France réalisée en métal, a évidemment été préservée.

Martin Bethenod, directeur général délégué de la Bourse de Commerce, évoque « une architecture utile, qui ne cherche pas à impressionner ». Le musée d’art contemporain aura pour but de « sans cesse, renouveler le regard sur la collection Pinault et sur la création contemporaine à travers elle ». Martin Bethenod promet « une offre riche et dense toute l’année, l’engagement à long terme du collectionneur ». À partir des oeuvres, l’idée est aussi d’inviter des commissaires, des artistes, des pièces nouvelles commandées pour l’occasion, des prêts. Mais aussi de prévoir, dès que la situation le permettra, des concerts, des performances, des chorégraphies… « Nous voulons un lieu réel, avec du live, des rencontres avec des artistes. »

Pour cela, le bâtiment, qui servit longtemps d’entrepôt de sacs à farine, de halle aux blés avant de devenir la bourse de commerce, sera doté d’un auditorium de 284 places. On montera et descendra par le magnifique escalier à double révolution du XVIIIe siècle. Au total, dix espaces d’exposition pour une surface au sol après travaux de 10’500 m2. Plus un restaurant panoramique de 100 à 120 couverts, le café la Halle aux grains, au 3e niveau.

Le sous-sol du centre d’art met en scène les structures porteuses du bâtiment.
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© Patrick Tourneboeufla
Le sous-sol du centre d’art met en scène les structures porteuses du bâtiment. Il sera également occupé par un auditorium de 284 places.

CASTING DE STARS

Aux fourneaux, Michel et Sébastien Bras (anciennement trois étoiles au Guide Michelin) proposeront une cuisine inspirée par l’histoire de l’édifice, entre patrimoine et modernité. Quant aux oeuvres, difficile de toutes les citer. Depuis quarante ans, Tourneboeuf la Fondation Pinault rassemble près de 10’000 peintures, sculptures, photographies, vidéos des années 1960 à nos jours. Impossible de nommer tous les artistes représentés, de Koons à Mondrian, en passant par Picasso, Tanguy, Léger, Braque, Rauschenberg, Warhol, Pollock, Cy Twombly, Damien Hirst, Cindy Sherman, David Hammons, Richard Serra. Jean-Jacques Aillagon estime que l’oeuvre qui l’émeut le plus est sans doute All, signée par Maurizio Cattelan : « Un alignement de cadavres apparemment enveloppés dans des linceuls blancs aux anatomies absurdes. Une très belle invitation à méditer. » L’ancien ministre cite aussi Axial Age de Sigmar Polke, « d’une telle richesse qu’elle nous invite à reconsidérer notre relation avec les oeuvres ».

Initialement prévue l’année passée, l’ouverture du nouveau musée, à coup sûr un événement mondial, dépendra bien sûr de l’évolution de la pandémie. Une occasion de plus d’attendre avec impatience un retour à la vie d’avant.

La Bourse de Commerce.
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© Patrick Tourneboeufla
Au total, une surface de 10’500 m2 et dix lieux d’exposition que l’on découvrira via le magnifique escalier à double révolution du XVIIIe siècle.

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