N° 134 - Printemps 2021

Interview de Felice Varini

Felice Varini, comment est née votre conscience artistique ?

Probablement en contemplant les peintures religieuses à l’église, avant de fréquenter les musées. Locarno était une petite ville et j’ai été rapidement habitué à voir tout ce qui touchait à la peinture, à la sculpture, à l’art… Très jeune, j’allais régulièrement à la Galleria Flaviana de Rinaldo Bianda, un galeriste passionné dont le programme consistait à exposer des artistes avant-gardistes. J’y allais seul à l’âge de 10 ans, c’était mon jardin secret.

Quels artistes vous ont particulièrement marqué chez Rinaldo Bianda ?

Lucio Fontana, Gerhard Richter, Piero Manzoni ou encore Max Bill et Jean Arp, dont on pouvait aussi voir les sculptures dans un parc de la ville, au bord du lac.

Comment créez-vous, in situ ?

Comme un peintre, je travaille avec toutes sortes d’outils, dont des projecteurs. Je pars d’un point de vue et construis une forme qui sera insérée dans un espace donné. Avant d’entamer le travail de construction et d’affinement, l’étape du marquage a lieu souvent la nuit, sans éclairage public et parfois à plus de un kilomètre du point de vue. Pour les pièces complexes, nous sommes plusieurs. Pour le projet de Carcassonne nous étions 20, dont mes assistants et des cordistes de nacelle élévatrice.

Parlez-nous des formes géométriques peintes au cœur de l’architecture.

Ce sont toujours des formes simples tels que le cercle, le carré, le triangle, des ellipses, parfois aussi des polygones irréguliers. Le choix des formes et leur dimension est lié aux réalités architecturales, afin qu’elles prennent corps dans ces espaces choisis. Ces formes sont reconnaissables comme telles depuis le point de vue. Hors de ce point de vue, l’observateur assistera à leur éclatement en continuelle métamorphose. C’est un jeu plastique pictural qui se développe sur des volumes entiers.

Felice Varini.
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© Adrien Buchet
Portrait de Felice Varini.

JE DONNE LA POSSIBILITÉ AUX GENS DE FAIRE CORPS AVEC UNE OEUVRE D’ART.

Qu’est-ce qui vous fascine tant dans l’affranchissement du cadre ?

Quand j’ai décidé de quitter mon atelier et d’abandonner le cadre pour investir l’architecture, j’ai voulu m’affranchir du tableau et de la peinture bidimensionnels. Ma question était de savoir comment aller au-delà d’un acquis bien établi pour ouvrir d’autres voies. Comment aller dans des territoires picturaux peu explorés et revisiter, sinon interroger, la peinture à travers l’espace en cherchant à lui donner ce territoire qui fait corps avec le monde, avec la réalité et les espaces tridimensionnels.

Vous parlez des lignes de force dans l’architecture qui vous amènent naturellement dans un lieu. Est-ce que tous les types de lieux, volumes ou espaces sont propices à la création ?

Ce qui m’intéresse, ce sont des réalités telles qu’elles sont et sur lesquelles il y a un jeu possible avec la peinture. Quand j’ai commencé à travailler de cette manière, je me suis dit qu’il n’y avait pas de lieux à privilégier ou à ignorer : la pizzeria, le musée d’art moderne, un village tout entier… Aujourd’hui je suis souvent invité à participer à des expositions, dans toutes sortes d’espaces qui peuvent me laisser perplexe comme le couloir de l’hôpital de Zurich. Je me lance alors le pari de trouver l’œuvre qui amènera de la complexité dans un espace somme toute assez simple.

Qu’espérez-vous provoquer chez le spectateur ?

Je ne peux pas savoir où l’imagination conduit les gens qui regardent mon travail. Mais j’espère attirer leur attention pour qu’ils s’intéressent à l’œuvre, qu’ils établissent un rapport avec elle. Je leur donne la possibilité de faire corps avec une œuvre d’art et si cela fonctionne, c’est déjà magnifique.

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Architecture

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