« L’ODRRE N’A PAS D’IPMROTNCAE ». Trois installations lumineuses dont celle de l’artiste belge Ann Veronica Janssens dominent l’avenue Henri-Dunant.
x
« L’ODRRE N’A PAS D’IPMROTNCAE ». Trois installations lumineuses dont celle de l’artiste belge Ann Veronica Janssens dominent l’avenue Henri-Dunant. © Adrien Buchet
N° 119 - Printemps 2016

Neon Parallax, l’art à ciel ouvert

L’ambitieux projet « Neon Parallax » est une consécration de l’art contemporain dans l’espace public à Genève qui remporte un large succès pour son originalité. Au crépuscule, les premiers néons s’illuminent et rayonnent sur la plaine de Plainpalais.

« Axis of Silence ». Œuvre réalisée par le Kosovar Sislej Xhafa et située avenue du Mail.
x
© Adrien Buchet
« Axis of Silence ». Œuvre réalisée par le Kosovar Sislej Xhafa et située avenue du Mail.
« Axis of Silence ». De jour comme de nuit, cette œuvre interpelle les passants.
x
© Adrien Buchet
« Axis of Silence ». De jour comme de nuit, cette œuvre interpelle les passants.

Depuis quelques années, les projets d’art qui s’inscrivent dans l’espace public se multiplient de toutes parts. Ils ont la capacité de revaloriser certains lieux et de renforcer les liens entre l’art, les citadins et l’environnement urbain. Or dans ce domaine, Genève n’est pas en reste. Le programme de commande publique intitulé « Neon Parallax » est en effet une aubaine pour la ville et en particulier pour Plainpalais. Mené par les Fonds d’art contemporain de la Ville (FMAC) et du Canton (FCAC) de Genève, il enrichit le paysage urbain et offre la particularité de rendre l’art accessible à chacun.

Comme le rapporte justement Simon Lamunière, l’un des initiateurs du projet, « tout en étant individuelles, ces œuvres font partie d’un tout et interagissent entre elles ».

Genèse

Choisie pour son analogie formelle avec celle de la rade, la plaine de Plainpalais jouit désormais d’installations lumineuses originales qui intriguent et questionnent les observateurs. Si l’on se positionne au centre de la plus grande place de Genève, tous ces néons sont visibles simultanément sur les toits des immeubles bordant la plaine. L’ensemble se compose de neuf créations d’artistes suisses et internationaux dont Dominique Gonzalez-Foerster, Ann Veronica Janssens, Sylvie Fleury ou encore Christian Robert-Tissot. Formant un parallèle entre les messages publicitaires de la rade, d’une part, et les néons des toitures de Plainpalais, d’autre part, ces œuvres, conçues spécialement pour ce site, proposent une réflexion sur les slogans publicitaires qui envahissent notre quotidien.

Un projet artistique d’une telle ampleur n’aurait pu voir le jour sans la détermination de nombreux acteurs. Simon Lamunière, commissaire d’exposition et consultant en art, nous explique le chemin de croix qu’il a fallu parcourir jusqu’au lancement du premier concours: « Lorsque nous avons rédigé le projet officiel ‘ Neons ’ en 2002 dans une sous-commission entre Ville et Etat, il nous restait encore à franchir de nombreuses étapes : convaincre les magistrats, vérifier quels bâtiments pourraient être techniquement adéquats, avoir les préavis positifs de plusieurs commissions et faire en sorte que les propriétaires mettent leur toiture à disposition. Ce partenariat public-privé, approuvé à l’unanimité, a tout de même nécessité quatre ans avant que soit lancé le premier concours. »

Les créations des gagnants du concours international sont installées de 2007 à 2009, à la cadence de deux néons par année. En 2012, trois dernières œuvres complètent le panorama à la suite de deux autres concours – l’un sur invitation et l’autre public – et d’une commande privée de Pierre Darier à l’artiste suisse Christian Robert-Tissot pour son œuvre « DIMANCHE » installée sur le toit de la banque Lombard Odier & Cie. Le livre Neon Parallax, publié aux Editions Infolio, retrace la genèse de l’entreprise et présente les textes d’une quinzaine de spécialistes du monde entier.

« Fly A Dragon Kite ». Les losanges de ce cerf-volant imaginé par Nic Hess rappellent les schèmes de Plainpalais et de la rade.
x
© Adrien Buchet
« Fly A Dragon Kite ». Les losanges de ce cerf-volant imaginé par Nic Hess rappellent les schèmes de Plainpalais et de la rade.
Plan de Neon Parallax
x
© Simon Lamunière
« YES TO ALL ». Lisible de tous les points de vue de la plaine de Plainpalais, le message en néon blanc entouré d’un halo rose proposé par Sylvie Fleury nous enjoint à l’optimisme.
x
© Adrien Buchet
« YES TO ALL ». Lisible de tous les points de vue de la plaine de Plainpalais, le message en néon blanc entouré d’un halo rose proposé par Sylvie Fleury nous enjoint à l’optimisme.

Des créations variées

Aujourd’hui, le cadre unique et la diversité de ces réalisations apportent un éclat vivifiant dans la nuit urbaine. Un visiteur qui fait ses premiers pas sur la plaine et n’a jamais entendu parler de « Neon Parallax » pourrait s’y méprendre. Ayant préalablement visité une rade truffée d’enseignes lumineuses – qui participent au rayonnement d’une vitrine mondialement célèbre –, il aborde le site de Plainpalais influencé par ces dernières images. Sur place, il ne réalise pas immédiatement qu’il est au centre de l’un des plus importants projets d’art contemporain dans l’espace public de ces dernières années. Apercevant quelques éléments de néon qui l’intriguent, le regard du promeneur est captivé par deux grands yeux qui semblent scruter le visiteur. Parmi les neuf installations qui surplombent la plaine, « Axis of Silence » (2009), de l’artiste kosovar Sislej Xhafa, est sans doute l’une des réalisations qui intrigue le plus, car elle se distingue en tous points d’une enseigne publicitaire classique. Ces yeux en tôle thermolaquée laissent le spectateur songeur, happé par ces orbites.

« L’ODRRE N’A PAS D’IPMROTNCAE » (2012) d’Ann Veronica Janssens interpelle et joue avec notre vision, notre cerveau et les limites de notre perception. Paradoxalement, ces multiples fautes d’orthographe ne heurtent pas immédiatement la conscience du spectateur. Faisant ici écho à une prétendue recherche de l’Université de Cambridge sur l’orthographe et l’ordre des lettres d’un mot, l’artiste belge est connue pour ses recherches sur l’expérience sensorielle de la réalité.

« Fly A Dragon Kite » (2009) de Nic Hess et « Breath » (2007) de Jérôme Leuba sont des créations plus graphiques et ludiques qui apportent une certaine légèreté au projet. Le premier, avenue Henri-Dunant, est une combinaison de sept losanges qui pastichent un cerf-volant. Ces figures font allusion aux plans en losange de la plaine – comme de la rade – et se parent chaque semaine de nouvelles couleurs. Le second, surplombant l’avenue du Mail, représente un tube de 24 mètres dont les fluctuations de l’intensité lumineuse animent une banale façade.

Cinq autres néons reproduisent des slogans qui illustrent davantage l’un des premiers objectifs du projet : la transposition des enseignes publicitaires de la rade en créations artistiques à Plainpalais. « YES TO ALL » (2007) de Sylvie Fleury a semble-t-il séduit par l’universalisme du message que transmet l’artiste suisse. Souvent utilisé dans son travail, ce même slogan laisse libre cours à l’interprétation. Cependant, le message en capitales roses interpelle tant il contraste avec les publicités qui défendent une seule et unique enseigne. Quelques toits plus loin, « Soll ich noch Geld ausgeben ? » (2008) de Christian Jankowski est aussi déstabilisant pour sa phrase rédigée en allemand. Avec la question « Dois-je encore dépenser de l’argent ? », les rôles sont pour une fois intervertis, le consommateur s’exclamant par le biais du néon. « Coming Soon ! » (2012) de Pierre Bismuth fait penser aux bandes-annonces des films prochainement projetés dans les salles de cinéma.

« Soll ich noch Geld ausgeben ? » L’artiste allemand Christian Jankowski pose ici une question simple qui permet au spectateur de s’exprimer et de remettre en question ses choix.
x
© Adrien Buchet
« Soll ich noch Geld ausgeben ? » L’artiste allemand Christian Jankowski pose ici une question simple qui permet au spectateur de s’exprimer et de remettre en question ses choix.

L’enseigne donne matière à réflexion sur les prochains événements programmés dans cet espace… Enfin, « DIMANCHE » (2012) de Christian Robert-Tissot et « expodrome » (2008) de Dominique Gonzalez-Foerster suscitent le repos et la relâche. De surcroît, « DIMANCHE », en majuscules, provoque un fort décalage avec le monde de la publicité et du commerce. Le second et admirable « expodrome », dont les lettres semblent dysfonctionner, ne s’affiche entièrement que huit minutes par heure. Il s’agit là d’une contradiction au principe de la parfaite enseigne. Ses multiples compositions sont jubilatoires et témoignent d’une véritable recherche artistique de la part de Dominique Gonzalez-Foerster.

« expodrome ». De loin comme de près, cette réalisation de Dominique Gonzalez-Foerster est composée de lettres en LED qui s’allument de manière individuelle ou fragmentée.
x
© Adrien Buchet
« expodrome ». De loin comme de près, cette réalisation de Dominique Gonzalez-Foerster est composée de lettres en LED qui s’allument de manière individuelle ou fragmentée.
x
© Adrien Buchet
« DIMANCHE ». Installée sur le toit de la banque Lombard Odier & Cie, l’œuvre de Christian Robert-Tissot appelle le spectateur à la détente…
x
© Adrien Buchet
« DIMANCHE ». Installée sur le toit de la banque Lombard Odier & Cie, l’œuvre de Christian Robert-Tissot appelle le spectateur à la détente…

En définitive, chacun est libre de se faire une opinion sur ces neuf néons dont la diversité des réalisations, fixes ou en mouvement, conceptuelles ou concrètes, est incontestablement l’un des points forts de « Neon Parallax ». Bleues, roses, blanches, biscornues, incongrues, ces installations questionnent les passants et enthousiasment les habitants du quartier dont certains regrettent toutefois que l’on ait omis de mettre à leur disposition des bornes explicatives pour initier le public aux différentes approches artistiques.

La rade de Genève. Vue depuis le quai du Mont-Blanc, la rade présente un phare publicitaire pour les plus grandes enseignes du monde.
x
© Adrien Buchet
La rade de Genève. Vue depuis le quai du Mont-Blanc, la rade présente un phare publicitaire pour les plus grandes enseignes du monde.

Le travail des deux fonds d’art contemporain du FMAC et du FCAC est indispensable tant pour la réflexion qu’ils proposent sur de nouvelles formes d’art intégré à l’espace public que pour sensibiliser les habitants à la culture et au patrimoine artistique de l’Etat. Les deux institutions travaillent aussi sur le lien entre l’art et l’urbanisme. Dans ce domaine, Simon Lamunière pense que Genève devrait davantage s’inspirer de villes comme Turin, Paris, Londres, Barcelone et Zurich. Dans cette dernière, « le marketing de la ville a des attentes très précises et ambitieuses sur le rôle de l’art dans l’urbanisme ».

A Genève, le projet d’art public « art & tram » et ses six interventions artistiques sur le nouveau tronçon de la ligne 14 est prometteur. Initié en 2009 et coordonné par le Service cantonal de la culture et le FCAC, il montre ainsi les efforts du Canton et des Communes pour améliorer le quotidien des citoyens et changer leur perception des lieux choisis pour ce projet.

Quoi qu’il en soit, la Ville et le Canton de Genève sont désormais riches de nouvelles installations artistiques au sein de l’espace public qui sont remarquables et qui, souhaitons-le, feront date. Quelques années après son installation, « Neon Parallax » a le grand mérite d’égayer notre quotidien tout en stimulant la ville et ses habitants. Grâce à des acteurs impliqués et persévérants, les néons continuent plus que jamais à briller sur la ville.

Diane Daval
x
Diane Daval, conseillère culturelle et responsable du Fonds Cantonal d’Art Contemporain (FCAC)
Diane Daval, conseillère culturelle et responsable du Fonds Cantonal d’Art Contemporain (FCAC)

Interview avec Diane Daval, conseillère culturelle et responsable du Fonds Cantonal d’Art Contemporain (FCAC)

Quatre ans après l’inauguration du projet, de nombreux Genevois s’émerveillent devant les enseignes de « Neon Parallax » mais peu de gens semblent en saisir la signification. Comment sensibilisez-vous la population à ce projet ?

Un colloque et une exposition ont été organisés, lors de l’inauguration de la quatrième et dernière phase, en octobre 2012. Par ailleurs, un ouvrage retraçant tout le projet a été publié à cette occasion aux Editions Infolio. Au préalable, des cartes postales reproduisant chaque installation des trois premières phases avaient été distribuées dans le quartier. Et des rendez-vous sur place ont été proposés à la population. « Neon Parallax » bénéficie également d’un site sur Internet.

En 2022, les neuf néons de Plainpalais seront démontés. Doit-on craindre de voir s’installer un jour, sur la plaine, de véritables enseignes publicitaires à l’instar de la rade ?

Etant donné que le site se trouve en grande partie dans un périmètre protégé, dans lequel les enseignes lumineuses sont prohibées, le risque est quasiment nul. Les deux fonds d’art contemporain ont dû entreprendre des démarches spécifiques pour obtenir les autorisations d’installation destinées à chacune des interventions artistiques, accordées précisément en dérogation parce qu’il ne s’agissait pas de publicités. Les œuvres situées côté avenue Henri-Dunant ont fait l’objet d’âpres discussions, en raison de leur situation face à la vieille ville et à la cathédrale, dont elles ne devaient en aucun cas gêner la visibilité.

Que vont devenir les néons après leur démantèlement ?

Bonne question ! La volonté des deux fonds et de leurs commissions était d’expérimenter, avec « Neon Parallax », une temporalité différente de celle en cours dans le domaine de l’art public, par des interventions artistiques installées pour une durée limitée à dix ans à partir de l’inauguration de la dernière phase. Il ne s’agit donc ni d’installations temporaires au sens traditionnel du terme (quelques mois), ni d’œuvres pérennes.

La question du devenir des œuvres après leur démontage a évidemment déjà été évoquée au sein des deux fonds d’art contemporain, mais elle n’est pas encore résolue. Quelle que soit la décision adoptée, il faudra qu’elle obtienne l’accord des artistes.

Le FCAC contribue à la qualité artistique des édifices et des espaces publics. Quel rôle joue l’art dans l’espace public ?

Les interventions artistiques dans l’espace public constituent pour la majorité de la population la seule occasion de contact avec l’art contemporain. Allant à la rencontre du public dans son cadre quotidien, on attend aujourd’hui de l’art dans l’espace public qu’il propose de nouvelles expériences en lien avec les sites où il est installé.
Dans l’environnement urbain, soumis à des balisages extrêmement contraignants et normatifs, l’art contemporain peut encore favoriser des expériences individuelles et subjectives. Déjouant les habitudes, il incite à d’autres lectures des lieux, à d’autres déplacements, tant symboliques que physiques.
A une époque où tout va toujours plus vite, l’art dans l’espace public peut inciter à la flânerie, que Walter Benjamin considérait déjà comme un acte de résistance dans la logique fonctionnaliste de la ville moderne.

Qu’en est-il des futurs projets d’art menés par les Fonds d’art contemporain de la Ville et du Canton de Genève ?

Pour le Canton, nous sommes en train de piloter un ambitieux projet, qui a été initié en 2009 par quatre communes traversées par la ligne du tram 14, Lancy, Onex, Confignon et Bernex, auxquelles la Ville de Genève s’est associée. Sa réalisation consiste en une série de six interventions artistiques permanentes le long de cette ligne, soit un projet par commune traversée, auquel s’ajoute une rame de tramway. Ce projet, intitulé « art & tram » entend introduire l’art dans l’espace quotidien des voyageurs et des citoyens, tout en accompagnant les mutations urbaines avec une articulation nouvelle entre le centre et la périphérie urbaine en donnant une identité forte à cet axe. Les six œuvres constituent un ensemble cohérent, qui ponctue le développement amené par la nouvelle ligne de tramway.

Footnotes

Rubriques
Architecture

Continuer votre lecture