De gauche à droite : Olivier Cerutti, Député au Grand Conseil, entrepreneur, Genève - Nicolas Rufener, Secrétaire général de la Fédération des métiers du bâtiment, Genève - Patrice Bezos, Architecte AGA-SIA, Président de la Fédération des associations d’architectes et d’ingénieurs de Genève - Philippe Favarger, Consultant immobilier et énergétique, enseignant en expertise immobilière à l’EPFL, ancien directeur adjoint du Logement à l’État de Genève - Frédéric Dovat, Secrétaire général de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI Suisse), Lausanne.
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De gauche à droite : Olivier Cerutti, Député au Grand Conseil, entrepreneur, Genève - Nicolas Rufener, Secrétaire général de la Fédération des métiers du bâtiment, Genève - Patrice Bezos, Architecte AGA-SIA, Président de la Fédération des associations d’architectes et d’ingénieurs de Genève - Philippe Favarger, Consultant immobilier et énergétique, enseignant en expertise immobilière à l’EPFL, ancien directeur adjoint du Logement à l’État de Genève - Frédéric Dovat, Secrétaire général de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI Suisse), Lausanne.
N° 125 - Printemps 2018

« Passoires énergétiques » : le casse-tête de l’assainissement

Malgré le scepticisme d’une minorité de scientifiques et de politiciens, dont l’actuel président des États-Unis d’Amérique, la lutte contre le gaspillage d’énergie et le réchauffement climatique s’est imposée dans le monde entier comme l’une des plus cruciales urgences de notre société. Presque partout, les initiatives publiques et privées se multiplient et les « Agendas 21 » préoccupent élus et citoyens d’autant plus cruellement que le vieux principe « après nous le déluge » semble, au fil des catastrophes naturelles, prendre de plus en plus d’actualité.

En Suisse comme ailleurs, les programmes visant à économiser l’énergie et à limiter les rejets de CO2 dans l’atmosphère se succèdent. Recyclage des déchets à grande échelle, véhicules de moins en moins polluants et essor des transports publics, normes d’une sévérité croissante pour les activités industrielles et agricoles… les mentalités ont indéniablement changé. Mais la première source de production de CO2 reste le chauffage des bâtiments et la persistance de véritables « passoires énergétiques » fait l’unanimité contre elle : quoi de plus irresponsable en effet que de consommer une énergie la plupart du temps fossile pour « chauffer la rue » ?

Les programmes d’incitation, par subvention ou déduction fiscale, existent tant à l’échelon fédéral qu’à celui des cantons. L’ennui est que leur mise en œuvre se heurte aux dispositifs de protection des locataires et de préservation du patrimoine. Si l’on y ajoute l’insuffisance des fonds disponibles, le fardeau administratif qu’implique tout projet sous nos cieux et l’immensité du parc d’immeubles à assainir, on comprendra que le pari n’est pas gagné.

« Le bon sens devrait l’emporter. Les enjeux climatiques sont vitaux. »

Olivier Cerutti, Député au Grand Conseil, entrepreneur, Genève.

 

– Parmi les dispositions légales qui freinent, voire empêchent, la rénovation d’immeubles considérés comme énergivores figure en bonne place la LDTR (Loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation¹). Elle interdit la démolition de maisons d’habitation qui comportent deux logements et plus, sises dans les quatre premières zones de construction. Vous êtes l’auteur d’un projet de loi déposé en mai 2014, visant en quelque sorte à substituer au régime de dérogation éventuelle un système d’autorisation sauf contrordre. Pouvez-vous nous préciser vos intentions ?

– Soyons clairs : le système de dérogation en vigueur est une catastrophe pour les détenteurs d’immeuble souhaitant rénover leur bâtiment pour le rendre conforme aux exigences actuelles d’économie d’énergie et, au passage, profiter si cela est possible des changements de gabarit dans les trois premières zones de construction pour réaliser des logements supplémentaires. Le Département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (DALE) a élaboré, depuis de nombreuses années, des pratiques qui sont issues d’une interprétation très restrictive de la loi et qui, dans les faits, empêchent la quasi-totalité des démolitions-reconstructions. Ces pratiques vont jusqu’à remettre en cause les budgets à investir et les méthodes constructives choisies. Notre projet propose de renoncer au régime dérogatoire lorsqu’on a affaire à des immeubles dépassant la consommation de 800 mégajoules par mètre carré (l’État considérant, via la Loi sur l’énergie notamment, que 600 mégajoules par an est un seuil non optimal, mais encore admissible). On parle là de quelque 5 % du parc immobilier.

– Ces opérations de démolition-reconstruction sont-elles rentables pour les propriétaires ?

– Elles peuvent l’être, si la seconde proposition du projet de loi est également acceptée, à savoir instaurer pour ces immeubles un contrôle de loyer conforme au calcul de rendement établi dans le Code des obligations et non pas plafonné à 3 405 francs par pièce et par an, comme le prévoient les dispositions de contrôle des loyers LDTR qui s’appliquent actuellement aux dérogations. Il n’est pas question de remettre en cause la protection des locataires, mais de retirer du marché des immeubles souvent vétustes, sans valeur architecturale ni patrimoniale, où le plomb et l’amiante sont régulièrement présents et qui gaspillent allègrement les ressources énergétiques de notre canton. En outre, des logements supplémentaires pourraient être créés. Il faut quand même admettre, même si la LDTR a été « sacralisée » par certains, que cette loi date d’il y a plus de vingt ans et ne tenait compte ni des normes et techniques d’aujourd’hui, ni de l’objectif d’une « société à 2 000 watts », ni des nuisances induites par certains matériaux des années 60 et 70, et encore moins des typologies adaptées à nos existences du XXIe siècle.

– Le projet a été déposé au printemps 2014. On va donc célébrer le quatrième anniversaire de son dépôt ! 

– En effet, il se trouve toujours au menu de la Commission du logement et ce délai n’a malheureusement rien d’inédit dans notre République. Le débat porte sur plusieurs points : certains adversaires du projet professent que le régime dérogatoire permet déjà d’avancer vers la suppression progressive des « passoires énergétiques ». Force est de constater que cela n’est pas le cas et que si certains propriétaires aguerris se lancent dans l’aventure, beaucoup d’autres, notamment des caisses de pensions ou des détenteurs familiaux, ne prennent pas le risque. D’autres invoquent l’énergie dépensée dans une démolition de structures de béton, par exemple, qui pour-raient encore durer des décennies – mais cela ne tient aucun compte de la typologie des logements actuels, ni de l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite. Transformer un immeuble conçu en 1965 se révèle soit impossible, soit bien plus coûteux que l’édification d’un bâtiment aux normes modernes après démolition de l’existant. Enfin, le contrôle des loyers fait évidemment l’objet d’une guerre de tranchées, alors que la solution proposée est parfaitement équitable et conforme aux réalités actuelles.

LA QUASI-TOTALITÉ DES DÉMOLITIONS-RECONSTRUCTIONS SONT EMPÊCHÉES PAR DES DISPOSITIONS EN VIGUEUR.

– La protection du patrimoine est aussi un écueil sur le chemin de l’optimisation énergétique des immeubles. Le projet n’en parle pas, est-ce un problème mineur ?

– Certes non, mais notre proposition se concentre sur les immeubles « passoires » sans valeur patrimoniale. Dans le cas de bâtiments classés ou protégés, les mesures de rationalisation énergétiques passent par l’isolation de la toiture, l’amélioration de la conservation de chaleur par des isolants de façade disposés à l’intérieur – quitte à diminuer un peu la surface habitable – et le remplacement des vitrages quand cela est possible.

– Êtes-vous optimiste sur le sort de votre projet de loi ?

– Je crois que le bon sens finit toujours par triompher. Il faut admettre, comme nos voisins français ont fini, tous partis confondus, par le faire à propos de leur Code du travail, que nous nous sommes dotés d’une législation trop imposante, avec des dispositions et des objectifs parfois contradictoires, et qu’elle a un effet dissuasif sur les velléités de créer un cadre de vie et d’habitat plus durable et plus sain. Une modeste adaptation de la LDTR serait déjà un pas dans la bonne direction, dans l’intérêt de tous et surtout des générations futures : les enjeux climatiques sont vitaux et exigent quand même un peu d’imagination et de courage !

« L’État doit être davantage un partenaire qu’un censeur. »

Nicolas Rufener, Secrétaire général de la Fédération des métiers du bâtiment, Genève.

 

– Quelles sont les dispositions légales qui encadrent la rénovation des immeubles considérés comme énergivores ?

– Elles sont d’une grande complexité et s’avèrent particulièrement lourdes, qu’il s’agisse des formalités techniques ou de l’obtention de subventions. Outre ce premier obstacle sur la voie de l’optimisation énergétique des bâtiments, on se heurte aussi à une collision permanente de plusieurs politiques publiques : celle promouvant les économies d’énergie d’une part, celles de défense des locataires et de préservation du patrimoine d’autre part. Les arbitrages sont extrêmement ardus ; le nombre et la variété des services étatiques chargés de délivrer des préavis impliquent un véritable parcours du combattant pour les propriétaires. Je suis convaincu qu’à quelques exceptions près, les représentants de l’administration ne poursuivent qu’un but louable, celui de préserver l’intérêt général. Mais il est difficile, voire impossible, d’obtenir par la concertation préalable l’assurance qu’une demande d’autorisation peut être déposée avec de bonnes chances d’aboutir vite ! De surcroît, outre les services et entités habilités à donner des préavis ou des assentiments, on assiste parfois à l’entrée en jeu de la commune ou d’autres échelons administratifs n’ayant pas compétence juridique dans le dossier.

– Quel est le principal obstacle à des opérations de démolition-reconstruction ou de rénovation permettant de supprimer des déperditions d’énergie ?

– S’il est parfois possible de rénover, avec pourquoi pas l’option de surélever, certains immeubles, la démolition de bâtiments des années 60-70 très gourmands en énergie et mal adaptés aux usages actuels s’impose souvent comme la solution de bon sens, permettant de construire à leur place des immeubles à la pointe des techniques et respectant les exigences du XXIe siècle. Outre le mille-feuille législatif et réglementaire – dont il faut admettre par honnêteté intellectuelle que nous en sommes tous responsables – et l’impact de la LDTR (Loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation) sur les velléités de rénovation, il est évident que le souci de protéger le patrimoine bâti représente le principal écueil sur la route de l’élimination des « passoires énergétiques ». Le recours au classement ou à la mise à l’inventaire, la sacralisation d’immeubles au titre de « témoins incomparables » de telle ou telle époque mettent les autorités mal à l’aise pour trancher. Il est bien entendu que personne ne souhaite « enlaidir Genève » et qu’on ne songerait pas à placer des panneaux solaires sur la Cathédrale, mais n’oublions pas que ladite Cathédrale n’est pas non plus celle du XIe siècle !

À GENÈVE, 80 % DES IMMEUBLES AURAIENT PU OU DÛ ÊTRE RÉNOVÉS.

– Dispose-t-on de statistiques objectives sur le nombre de bâtiments énergivores susceptibles d’être rénovés ou démolis-reconstruits ?

– Nous n’en disposons pas, mais il est indéniable qu’une règle générale ne peut être appliquée. Ainsi, si on a raison de dire que les immeubles des années 60 et 70 sont des « passoires énergétiques », il faut noter que la protection dont jouit l’ensemble monumental du Lignon, par exemple, est justifiée et que si la préoccupation écologique ne s’était pas imposée, on n’aurait sans doute pas hésité, voilà encore une vingtaine d’années, à le démolir ! Globalement, il est toujours vrai que Genève rénove beaucoup moins que les autres cantons et que 80 % de nos immeubles auraient pu ou dû être rénovés.

– Un propriétaire d’immeuble locatif est-il encouragé par l’État à adapter son bien aux exigences de l’économie d’énergie ?

– C’est là un casse-tête du point de vue du libéralisme économique et philosophique. Faut-il que l’État intervienne massivement, fasse preuve d’autorité tout en agitant la carotte des subventions ? Le risque est que les propriétaires affolés procèdent dans la précipitation et que les travaux soient exécutés à la hâte, imparfaitement. Notons d’ailleurs que lorsque l’État impose des délais drastiques, on découvre généralement qu’il est lui-même en infraction ! Le bon sens, là encore, exige une certaine souplesse.

– Genève est-il, à l’égard des démarches de rénovation ou de reconstruction, moins bien loti que son voisin vaudois ?

– Traditionnellement, tout est plus compliqué à Genève ! Certaines dispositions légales, comme la LDTR, existent dans les deux cantons mais sont plus strictes du côté genevois. Au-delà, le souci patrimonial est accru dans les zones plus urbaines, et l’arbitrage y est donc plus délicat entre recherche d’efficience énergétique et protection des sites. Quoi qu’il en soit, pour les constructeurs et les propriétaires, le rêve serait d’obtenir des réponses claires et rapides, fussent-elles négatives. Trop souvent, une dernière intervention, un préavis inattendu, une norme brusquement impérative viennent remettre en question un projet à la veille de son démarrage. Le plus insupportable est l’absence de décision.

– La population est-elle intéressée, motivée par cette problématique ou s’agit-il selon vous d’un débat de professionnels et de spécialistes ?

– Il s’agit sans aucun doute d’un débat de spécialistes. Le grand public oscille entre ses fréquentes convictions écologiques et la crainte de devoir subir des travaux ou une répercussion sur son loyer, même si la rénovation apporte des diminutions de charges. Quant aux professionnels, ils sont prêts à dialoguer avec l’État, espérant qu’il agisse davantage comme partenaire que comme censeur.

« Les architectes sont habitués à toutes sortes de contraintes. »

Patrice Bezos, Architecte AGA-SIA, Président de la Fédération des associations d’architectes et d’ingénieurs de Genève

 

– Quelles sont les dispositions légales qui encadrent la rénovation des immeubles considérés comme énergivores ?

– Quiconque éprouverait le besoin ou la curiosité de consulter la page Internet du site de l’État de Genève dédiée à ce problème y trouverait la loi et les règlements relatifs à l’assainissement énergétique des bâtiments2. Mais il convient de mettre en garde ceux qui tentent cette aventure : le « pavé » est très complet, le sujet complexe, et les dispositions légales ne sont compréhensibles que par des professionnels aguerris. C’est probablement le prix à payer pour atteindre l’efficience voulue par le législateur ! De lois en règlements, de dispositifs en recommandations, de mesures en ordonnances, tout a été prévu pour que rien ne soit laissé au hasard dans les moyens d’arriver à la performance. Pour autant, des marges d’interprétation, des pesées d’intérêts et des arbitrages sont nécessaires pour adapter l’application de la loi à ce qui n’est au fond qu’une série de cas particuliers, tant les immeubles sont différents par leur taille, leur position et leur système constructif.

– Quel type de bâtiment vous paraît-il prioritaire à cet égard ?

– Les bâtiments construits dans les années 50 et 60 sont ceux qui présentent le plus de pertes énergétiques et donc ceux qui nécessitent la plus grande remise à niveau. Deux obstacles législatifs se présentent régulièrement sur le chemin de l’assainissement. La fameuse LDTR d’abord qui, à son origine, n’avait pas pris en compte suffisamment cette problématique et dont les défenseurs peinent à admettre qu’elle puisse être assouplie, quel que soit le motif, fût-il aussi vertueux que les préoccupations écologiques. Il faut ensuite compter avec la LPMNS (Loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites), qui oblige à tenter de concilier, parfois très difficilement, la sauvegarde de l’architecture et les prescriptions en matière d’économie énergétique. Le chemin est quelquefois étroit entre toutes ces obligations ; il est significatif que les honoraires des ingénieurs spécialisés forment le poste qui a le plus augmenté ces cinq dernières années dans le prix de revient des opérations immobilières.

L’ENVELOPPE DE 25 MILLIONS D’AIDE À LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE N’EST PAS SUFFISAMMENT UTILISÉE.

– Un propriétaire d’immeuble locatif est-il encouragé par l’État à adapter son bien aux exigences de l’économie d’énergie ?

– Les propriétaires sont effectivement encouragés, dans la mesure où il existe des dispositifs fédéraux et cantonaux qui permettent d’accorder des aides à la rénovation énergétique. En 2017, l’État de Genève disposait, à ce titre, d’une enveloppe de 25 millions. Malheureusement, cette manne n’est pas suffisamment utilisée. Quelques propriétaires insuffisamment structurés ou mal conseillés renoncent à en faire la demande, la plupart du temps en raison des formulaires administratifs que cela implique. Hélas ! Il faut admettre que le moyen le plus efficace d’atteindre l’objectif reste la contrainte de la loi…

– L’optimisation énergétique des bâtiments vous semble-t-elle un objectif prioritaire pour les pouvoirs publics, les architectes et les professionnels de l’immobilier ?

– Certainement. Les déclarations du Conseil d’État, et singulièrement celles de M. Antonio Hodgers, marquent fortement la volonté de lutter contre le gaspillage d’énergie et de favoriser le recours à des ressources renouvelables. La sensibilité à cette problématique progresse aussi très fortement chez les mandataires architectes et, bien sûr, chez les ingénieurs. On ne compte plus les conférences, séminaires ou brochures qui expliquent, dans un but de formation, aux techniciens du bâtiment et de l’immobilier les bonnes pratiques à mettre en place. L’État, à travers la Direction générale de l’environnement et ses différents services, y prend une part importante. Les associations professionnelles, particulièrement la SIA, ont également accompli un travail considérable dans la pédagogie des systèmes et la mise à jour des normes.

LE CHEMIN EST QUELQUEFOIS ÉTROIT ENTRE TOUTES CES OBLIGATIONS.

– Quel est le rôle des architectes dans ce processus ? Cela nuit-il à la créativité architecturale ?

– Les architectes sont, par la nature de leur travail ancré sur le territoire, habitués à toutes sortes de contraintes. Les lois et règlements qui s’imposent à notre profession sont tellement pléthoriques et s’exercent sur tellement de détails que l’on peut se dire qu’il ne s’agit en l’espèce que de quelques couches supplémentaires. Au moins imagine-t-on que c’est pour la bonne cause et que si cela ne simplifie pas notre travail a priori, on peut relever la créativité de mes confrères qui ont développé, dans beaucoup de pays, une architecture abordant les projets sous cet angle et qui construisent une réflexion à partir de cette problématique.

« En soi, la rénovation énergétique est généralement rentable. »

Philippe Favarger, Consultant immobilier et énergétique, enseignant en expertise immobilière à l’EPFL, ancien directeur adjoint du Logement à l’État de Genève.

 

– Quelles sont les dispositions légales qui encadrent, dans le Canton de Genève, la rénovation des immeubles considérés comme énergivores ?

– Comme dans d’autres domaines, la législation enfle à vue d’œil… La Confédération a délégué aux cantons la tâche de réglementer la consommation d’énergie dans les bâtiments, et Genève joue les bons élèves en la matière. Tant que faire se peut, car la problématique n’est pas triviale. Une accélération de l’assainissement des immeubles énergivores peut passer par la contrainte ou par l’encouragement. Mais la contrainte se heurte au principe de proportionnalité, et l’encouragement aux bonnes dispositions ou non du contribuable-électeur.

– Un propriétaire d’immeuble locatif est-il encouragé par l’État à adapter son bien aux exigences de l’économie d’énergie ?

– Malgré les contraintes budgétaires, les encouragements sont nombreux et variés. Cela va des contributions du Fonds pour les économies d’énergie au Bonus conjoncturel à l’énergie, en passant notamment par le Programme Bâtiments de la Confédération et des cantons. Ce programme a été doté de 25 millions de francs en 2017 à Genève, et le Canton a observé un engouement certain de la part des propriétaires.

– L’optimisation énergétique des bâtiments vous semble-t-elle un objectif prioritaire pour les pouvoirs publics et les professionnels de l’immobilier ?

– Genève fait beaucoup pour l’optimisation énergétique des bâtiments. Mais il y a notamment un problème, peu soluble, de compatibilité entre différentes politiques publiques. La politique énergétique se heurte par exemple à la politique du logement, car consommer moins d’énergie, cela coûte ! Quant aux professionnels de l’immobilier, ils sont un peu perdus. Normal quand on sait que même les professionnels de l’énergie peuvent l’être également. C’est que les solutions techniques sont nombreuses et variées. Faut-il opter pour le solaire thermique ou photovoltaïque ? Faut-il prévoir un bac à glace pour se chauffer en hiver ? Faut-il envelopper le bâtiment pour réduire les pertes, ou faut-il simplement attendre que les ressources thermiques de la géothermie grande profondeur passent dans une conduite devant l’immeuble ?

– Des initiatives sont-elles en cours ou prévues pour faciliter la diminution des « immeubles passoires » ?

– Ces immeubles sont particulièrement ciblés par la réglementation. Mais c’est là qu’apparaît le principe de proportionnalité. Le Canton ne peut ordonner des travaux que s’ils sont rentables. Contrairement à ce que pensent beaucoup d’acteurs dans le domaine, j’ai le sentiment qu’en général ils le sont. S’agissant de travaux à plus-value, ils peuvent pour l’essentiel être répercutés sur les loyers. Et s’agissant de mesures d’économie d’énergie, ils peuvent être déduits fiscalement. Le problème est plutôt que des travaux d’assainissement de l’enveloppe vont souvent de pair avec une rénovation globale du bâtiment. Ce n’est pas à l’assainissement énergétique que les propriétaires sont réticents, mais à la difficulté de répercuter les autres travaux de rénovation sur les loyers.

– La population est-elle intéressée, motivée par cette problématique ou s’agit-il selon vous d’un débat de professionnels et de spécialistes ?

– J’observe que les nouvelles générations sont beaucoup plus motivées que la mienne pour agir en faveur de l’environnement. Mais dans un canton de locataires, ils ne peuvent pas faire grand-chose pour l’assainissement des bâtiments. En revanche, ils peuvent grandement contribuer à une réduction de la consommation d’énergie. Une température de 21 degrés au lieu de 23 degrés, une ouverture raisonnée des fenêtres et une douche de 5 minutes plutôt que d’une demi-heure, etc., réduiraient déjà considérablement la consommation d’énergie. Avec la prise de conscience de la problématique environnementale qui s’étend rapidement, peut-être n’y aura-t-il bientôt plus que ma voisine pour dire « je suis trop vieille pour être écolo » !

« Les comportements individuels doivent aussi évoluer. »

Frédéric Dovat, Secrétaire général de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI Suisse), Lausanne.

 

– Quelles sont les dispositions légales qui encadrent, dans le Canton de Vaud, la rénovation des immeubles considérés comme énergivores ?

– Principalement la Loi vaudoise sur l’énergie, qui aborde l’assainissement des bâtiments, et la Loi sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL ou L3PL), entrée en vigueur le 1er janvier dernier et qui a remplacé la LDTR.

– Un propriétaire d’immeuble locatif vaudois est-il encouragé par l’État à adapter son bien aux exigences de l’économie d’énergie ?

– Certainement. Dans le cadre du Programme Bâtiments de la Confédération, un budget de 37 millions de francs est attribué cette année à la subvention de travaux de rénovation énergétiques engagés par des propriétaires privés. Le financement provient pour 30 millions du revenu de la taxe fédérale sur le CO2 et pour 7 millions du Fonds cantonal pour l’énergie. En 2017, ces montants atteignaient respectivement 32, 27 et 5 millions de francs. Les travaux concernés sont entre autres l’isolation des immeubles bâtis avant 2000 (toit, murs et sols) à raison de quelque 70 à 90 francs par mètre carré, les mises aux normes visant à obtenir le label Minergie®, etc.

– Y a-t-il des obstacles aux initiatives des privés pour améliorer l’efficacité thermique de leurs immeubles ? 

– Le principal obstacle est la complexité des exigences administratives. La L3PL soumet ce type de travaux à autorisation et, dans le cadre de sa demande, le propriétaire doit constituer un important dossier, comprenant formulaires, attestations, rapports d’expertise, plans au 1/100e, etc. Les locataires doivent être informés de ses projets et disposent d’un délai de trente jours pour exprimer leurs remarques. La procédure est donc assez lourde. Quant à la répercussion des coûts sur les loyers, elle est régie par les dispositions du droit du bail, avec un contrôle étatique sur cinq ans, voire dix ans dans certains cas. Tout cela peut se révéler dissuasif. En outre, il convient de préciser que le Grand Conseil vaudois va bientôt examiner le projet gouvernemental de révision de la Loi cantonale sur l’aménagement du territoire, qui prévoit de taxer toutes les plus-values et notamment l’accroissement des possibilités de construire, le fameux bonus énergétique qui permet de bâtir plus grand si les normes environnementales sont respectées. Inutile de dire que cela va en sens contraire de la politique d’assainissement énergétique !

– L’optimisation énergétique des bâtiments vous semble-t-elle un objectif prioritaire pour les pouvoirs publics et les professionnels de l’immobilier ?

– L’USPI, tant au niveau fédéral que cantonal, est évidemment favorable à l’assainissement énergétique des immeubles. Cela représente une diminution des charges, un accroissement du confort pour les locataires et une valorisation de leurs biens pour les propriétaires. Mais du côté des pouvoirs publics, le subventionnement accordé est insuffisant. Le programme fédéral totalise quelque 450 millions par an, alors que si on imagine rénover l’ensemble des bâtiments énergivores en Suisse, la facture se montera à des milliards de francs !

– La population est-elle intéressée, motivée par cette problématique ou s’agit-il selon vous d’un débat de professionnels et de spécialistes ?

– Nos concitoyens sont évidemment unanimes pour considérer que la consommation d’énergie doit diminuer et pour affirmer leur appui à la préservation de l’environnement. Naturellement, ces nobles idéaux ont tendance à passer au second plan dès qu’il est question de coûts à assumer. En outre, les travaux d’optimisation énergétique ou la construction d’immeubles neufs remplissant les plus hautes exigences en termes d’efficience thermique ne seront pleinement efficaces que si les comportements des usagers évoluent parallèlement. Dans les immeubles Minergie®, il n’est pas rare que les habitants calfeutrent les bouches d’aération, mettant évidemment à mal tout le système de ventilation, ou aèrent consciencieusement leur logis en ouvrant grand les fenêtres tandis que le radiateur fonctionne à plein régime ! Nos comportements individuels doivent donc aussi évoluer.

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