Une oeuvre réalisée vers 1926-1934 à Monte Verità.
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(© Archives de la Fondation Eranos, Ascona)
N° 144 - Été 2024

Le réveil des utopies

Du voyage vers Mars à l'intelligence artificielle qui remplace tout, notre époque voit fleurir de nouvelles utopies censées remettre de l'ordre dans le désordre du monde. Pour le meilleur ou pour le pire ?

Une œuvre réalisée vers 1926-1934 à Monte Verità par Olga Fröbe-Kapteyn.
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(© Archives de la Fondation Eranos, Ascona)
Une œuvre réalisée vers 1926-1934 à Monte Verità par Olga Fröbe-Kapteyn et tirée de sa série Panneaux de méditation.

Lorsque Thomas More imagine en 1518 l’île d’Utopie, ce n’est pas seulement pour raconter une grande aventure, mais surtout pour annoncer, sous le couvert du récit de voyage, qu’il existe ailleurs un autre modèle de société que celui, autoritaire, imposé par le roi Henri VIII. À l’origine, le texte est un pamphlet qui dénonce une situation politique par le truchement d’un endroit baptisé « non-lieu » (c’est la traduction en grec ancien du terme utopie). Pour dire assez clairement que cette île est une invention. Une vision, que certains vont pourtant s’évertuer à donner corps. Pourquoi ? Par besoin viscéral de se projeter et d’échapper à la morosité du présent. Plus les temps sont incertains, plus le désenchantement se fait sentir et plus cette nécessité de monter de toute pièce d’autres mondes se fait impérieuse. Sans envisager que l’entreprise pourrait être vouée à l’échec. Mais l’humain s’entête.

En ce moment, c’est l’intelligence artificielle qui mobilise les débats. Sans trop savoir dans quelle direction ce vent nouveau va nous pousser. Car voilà une technologie étrange qui nourrit autant l’espoir d’aller vers le meilleur que la crainte de sombrer dans le pire. Il y a ceux qui prophétisent la catastrophe, les algorithmes qui prennent le pouvoir et l’humanité réduite au rôle de simple utilité. Ceux pour qui, au contraire, l’IA représente la promesse d’une société plus équitable, celle-ci étant capable de libérer le commun des mortels des tâches laborieuses en le rendant plus tolérant et plus intelligent. Enfin, il y a les autres, les utopistes les plus fervents, qui anticipent l’avènement d’une religion inédite : par son omniscience et son omnipotence, l’IA serait un dieu qui sait tout et voit tout, avec Google, Meta et Apple érigés en temples de cette nouvelle église. Voilà une utopie qui fait froid dans le dos et qui ne séduit personne.

Justement. De quelles utopies rêve-t-on ? De la conquête spatiale qui veut nous emmener sur Mars ? De la vie dans une société débarrassée de la menace climatique ? De celle qui trouverait le modèle de gouvernance capable de supprimer toutes les inégalités ? Le chemin risque d’être long et semé d’embûches. Mais cette impossibilité, n’est-ce pas la propre de l’utopie, ce lieu qui n’existe pas ?

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