Alain Finkielkraut et Élisabeth de Fontenay En terrain miné, Éditions Stock, 270 p.
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Alain Finkielkraut et Élisabeth de Fontenay En terrain miné, Éditions Stock, 270 p.
N° 128 - Printemps 2019

Duel épistolaire

Amis de quarante ans, Élisabeth de Fonteney et Alain Finkielkraut tentent de maintenir le dialogue en dépit de leurs désaccords.

Alain Finkielkraut et Élisabeth de Fontenay, que quinze ans séparent, ont de nombreux points communs : leur attachement au judaïsme, leur indépendance de jugement et d’expression, leur amour de la France, de sa langue et de sa culture… Surtout, ils sont amis de longue date, et cette amitié résiste malgré une divergence idéologique nette entre le cadet et son aînée. Celle-ci reproche à son ami Alain, qui considérait jadis l’homme de droite comme « canaille décomplexée, salaud et fier de l’être », d’avoir glissé de son idéal de gauche des années 1960 vers une vision sceptique à l’égard de l’immigration, inquiète de l’identité française, réservée à l’égard du féminisme trop virulent.

L’ouvrage, intitulé En terrain miné et édité chez Stock, est intégralement composé de lettres que les deux philosophes ont échangées. Nulle préface, nul propos liminaire, pas de conclusion autre que cet aveu, dans la dernière missive de Finkielkraut : « Je ne campais pas sur mes certitudes, je ne cherchais pas à te damer le pion, je voulais, avant toute chose, être à la hauteur. J’ignore si j’y suis parvenu. Mais je te suis infiniment reconnaissant de l’exténuante contrainte que tu m’as imposée. » Quelques extraits des textes de celui qui reproche affectueusement à sa correspondante : « Tu restes vaille que vaille fidèle à la gauche tandis que, ayant fait le choix de l’inappartenance, je refuse obstinément de lui rendre des comptes. »

 

Sur le politiquement correct

« En 2012, après l’annonce de la traque du tueur de Montauban et Toulouse, un journaliste du Nouvel Observateur écrivait sur Twitter, en apprenant qu’il s’appelait Mohammed Merah : « Putain, je suis dégoûté que ce ne soit pas un nazi. » Je suis la bête noire de cette nostalgie. Car si, comme toute personne sensée et sensible, j’abomine le fascisme, je n’en ai pas besoin, contrairement à ses pourfendeurs patentés, pour penser et pour agir. Cette différence me paraît capitale et je ne la sacrifierai pas pour être mieux considéré. »

« Du grand principe qu’était naguère l’antiracisme, il ne reste plus, de nos jours, que la pratique systématique du déni et la persécution des indociles. La morale est devenue matraque. »

Sur le féminisme

« Mais pourquoi faudrait-il nettoyer les démocraties de tous les rituels antérieurs à leur avènement et jeter au rebut ce qui reste en France de tradition galante ? La galanterie des hommes et l’élégance des femmes, c’est le refus de sacrifier la féminité sur l’autel de l’égalité. »

« Je suis surpris aussi par l’absence de crainte et de tremblement dans la rupture annoncée avec tout ce que les humanités antérieures considéraient comme un invariant anthropologique : le triptyque du père, de la mère et de l’enfant. Je suis choqué par le mépris dont sont accablés ceux qui appellent à la prudence. Et je médite sans fi n ce paradoxe : plus s’élargit le champ des possibles et plus on va vers l’uniformisation des comportements. »

Sur la civilisation occidentale

« L’Occident a beaucoup de choses à se reprocher, mais ce ne sont pas ses crimes ou sa cupidité qui suscitent aujourd’hui une haine inexpiable, ce sont ses libertés. »

« Le prédicat juif me hante, le prédicat français me constitue : voilà la réalité dont j’ai tardé à prendre conscience. Et ce qui a éveillé mon patriotisme, ce ne sont pas seulement « les coups portés contre nos manières de vivre et nos institutions », c’est le refus de plus en plus répandu de les assumer et de les défendre. »

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Alain Finkielkraut et Élisabeth de Fontenay En terrain miné, Éditions Stock, 270 p.
Alain Finkielkraut et Élisabeth de Fontenay En terrain miné, Éditions Stock, 270 p.

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