N° 137 - Printemps 2022

Le Compasso des Maestri

Au cœur de l’Italie industrielle des années 50, Gio Ponti cherche le moyen de valoriser les savoir-faire de son pays. En 1954, l’architecte et designer créait le Compasso d’Oro, l’équivalant des Oscar dans le domaine du design. À Milan, un tout nouveau musée raconte son histoire.

Giulia et Gio Ponti
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(Archivio Gio Ponti)
Giulia et Gio Ponti dans leur appartement de la Casa Ponti, via Dessa, à Milan en 1957.

Un matin de 1954, il vient à Gio Ponti, designer, architecte, enseignant et éditeur de la célèbre revue Domus (1928), une illumination. En cette période d’après-guerre où le besoin de renouveau s’est fait sentir en incitant à la production de masse, les fabricants de mobilier italiens ont le vent en poupe. L’architecte et entrepreneur Carlo de Carli a remis en selle l’industrie du meuble dans la région de Brianza, près de Milan, dans un pays qui concentre un nombre impressionnant de savoir-faire. Sauf qu’il manque à l’Italie les moyens de le faire savoir.

L'ADI Museum à Milan
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(Martina Bonetti)
L’entrée de l’ADI Museum à Milan, inauguré en mai 2021.

UN SINGE ET UN FUSIL

Pour apporter de la reconnaissance à ces métiers qui portent haut le « made in Italy », Gio Ponti a donc l’idée d’un prix. Il le baptise Compasso d’Oro, clin d’œil à l’instrument de la précision mathématique par excellence et aux proportions divines du nombre d’or. Le trophée est dessiné par le graphiste Albe Steiner et produit par les architectes Marco Zanuso et Alberto Rosselli. À travers Domus et son prix du design, Gio Ponti chercher à assurer la diffusion du design et de l’art de vivre à l’italienne dans son pays, mais aussi partout dans le monde. « Sa mission était de démontrer comment le design peut imprégner toutes les dimensions de la vie d’un individu, sans distinction sectorielle », explique Luciano Galimberti, président du musée de l’Association pour le design industriel (ADI) à Milan, institution inaugurée en mai 2021 entièrement consacrée à l’histoire du Compasso d’Oro, la distinction la plus ancienne dans le champ du design, et aussi la plus reconnue. L’exposition permanente compte plus de 2300 objets parmi lesquels 350 ont été primés. « Grâce à la création de ce prix, et pour la première fois, les produits des domaines du textile, du travail et des objets ludiques étaient présentés côte à côte dans un même contexte. Une grande intuition de l’architecte. »

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(DR)
Zizi, le petit singe en caoutchouc de Bruno Munari sera l’un des premiers objets de design primé par le Compasso d’Oro en 1954.

Chaque année, le Compasso devra ainsi récompenser un ou plusieurs créateurs italiens ayant excellé dans des secteurs aussi variés que le mobilier, les arts de la table, les appareils électroménagers, la communication visuelle, bref dans tous ces moments où le design met du beau dans la vie quotidienne. Mais pas seulement. Pour Bruno Munari, le designer n’est pas qu’un producteur d’objets esthétiques. Il doit aussi susciter curiosité et créativité à travers les formes et les couleurs. Le Milanais va ainsi éditer plusieurs livres pour enfants et des jouets capables d’éveiller l’imagination. En 1954, Zizi, son petit singe en caoutchouc qui peut adopter n’importe quelle position, remporte le premier Compasso d’Oro de l’histoire aux côtés d’une chaise de Carlo de Carli fabriquée par la maison Cassina, d’une machine à écrire Olivetti dessinée par Marcello Nizzoli… et d’un fusil de chasse de la manufacture Luigi Franchi. « Les armes sont aujourd’hui dépouillées de ces décorations qui témoignaient du rang social de ceux qui les portaient, estime alors le jury. Elles sont désormais des instruments aux formes essentielles et pures. »

La suspension de la collection Arrangements, création du designer Michael Anastassiades
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(Flos)
La suspension de la collection Arrangements, création du designer Michael Anastassiades pour Flos, a été récompensée en 2020.

S’il milite pour le design italien, le prix va rapidement récompenser des designers étrangers travaillant avec des entreprises de la Péninsule. Dès sa deuxième édition, le Compasso prime ainsi la bouteille thermos Original Verex fabriquée à Milan, mais dessinée par l’Allemand Egon Pfeiffer. Tandis que Marcel Breuer reçoit cette même année, 1955, le Gran Premio Internazionale pour l’ensemble de son œuvre.

D’année en année, la liste des lauréats va ainsi rassembler le casting de choc des meilleurs designers d’Italie : Alessandro Mendini, Joe Colombo, Achille Castiglioni, Vico Magistretti, Ettore Sottsass, Enzo Mari, Mario Bellini, Richard Sapper ou encore le designer automobile Giorgetto Giugiaro, le créateur de la Fiat Panda. Le Compasso honore en cela les incontournables du style italien comme la Fiat 500 de Dante Giacosa, la machine à écrire Valentine d’Ettore Sottsass, la cafetière 9090 de Richard Sapper pour Alessi et même, en 2018, la Fondation Prada construite à Milan par l’architecte néerlandais Rem Koolhaas. Ferrari attendra jusqu’en 2020 pour entrer dans la légende du design avec son modèle Monza SP1. À noter que ces grands noms qui reviennent régulièrement dans les palmarès, n’y apparaissent pas forcément pour les pièces qui ont fait leur réputation. Mario Bellini, qui a déjà été distingué huit fois au cours de sa carrière, sera ainsi récompensé en 1970 pour la calculatrice Logos 270 créée pour Olivetti et Joe Colombo pour un climatiseur de la marque Candy.

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Le Compasso d’Oro rassemble le meilleur du design italien. Comme cette machine à café dessinée par Richard Sapper pour Alessi primée en 1979.

À partir de 1960, le prix se déroule tous les deux ans et convoque un jury international qui change à chaque édition. Avec le temps, le Compasso d’Oro va évoluer et, comme le design, s’adapter aux préoccupations de son époque. Aujourd’hui, la sélection des finalistes est faite par l’Observatoire permanent du musée ADI. Elle se fonde sur des critères scientifiques, parmi lesquels la réduction de l’impact environnemental, l’utilisation de nouvelles technologies et de matériaux, la cohérence formelle. Différentes catégories sont venues s’ajouter au prix originel : Targhe Giovani (pour les jeunes designers) et Premi Compasso d’Oro alla Carriera (pour les grandes figures du design italien et international). Depuis 2020, les Premi alla Carriera consacrent des objets iconiques, mais étonnement jamais récompensés, tel que la lampe Arco dessinée en 1962 par Pier et Achille Castilgioni et éditée par Flos.

Gio Ponti voulait diffuser l’excellence italienne dans le monde entier. Soixante-huit ans plus tard, son Compasso d’Oro est aussi une manière de montrer que ces savoir-faire résistent à tout, même aux pires crises comme celle du Covid. Et préservent ainsi les dizaines de milliers d’emplois de l’industrie du design en Italie. « Je crois que le design exprime un avenir qui existe grâce à une expérimentation quotidienne et constante, analyse Luciano Galimberti. C’est une industrie qui ne laisse rien au hasard. La pérennité du « made in Italy » en est certainement la meilleure démonstration. »

La machine à écrire Valentine pour Olivetti d’Ettore Sottsass
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La machine à écrire Valentine pour Olivetti d’Ettore Sottsass, Compasso d’Oro 1970.
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La Fiant Panda remporte le Compasso d’Oro en 1981.

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Design

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