N° 139 - Automne

Pour une architecture bioclimatique

Nos architectures occidentales ont été conçues pour affronter les hivers rudes mais pas les canicules de l’été. C’est tout l’enjeux du « style climat » qui doit chasser le chaud en ménageant le frais.

Si le réchauffement d’un degré correspond à un décalage d’environ 200 kilomètres vers le sud alors pour un réchauffement de deux à trois degrés il nous suffira de déplacer les architectures bioclimatiques traditionnelles de 4 à 600 kilomètres en direction du nord. Nos bonnes vieilles fermes seraient ainsi parfaitement adaptées pour la région de Hambourg et la médina d’Alger idéale une fois transplantée à Marseille. Sauf que ce n’est pas si simple.

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(Schmidt Hammer Lassen Architects)
La future tour Rocket de 100 mètres à Winterhour. Prévue pour 2026 et recouverte de terre cuite en façade, elle sera le plus haut gratte-ciel en bois du monde.

MACHINE À TRANSFORMER

Chaque moment marquant de l’histoire de l’humanité apporte ses défis, ses dangers et caractérise nos réactions face aux situations d’urgence. Les formes et les réponses que nous proposons, permettent aussi de caractériser ces périodes. En ce moment, la menace climatique est notre nouvel inspirateur d’idées. La règle admise veut que si nous arrivons à freiner le réchauffement nous vaincrons les maladies et réduirons les événements météorologiques qu’il provoque. À la condition d’opérer une transformation lourde de nos modes constructifs et d’une adaptation radicale de nos façons d’habiter. Mais à quoi ressembleront alors nos futures maisons en « style climat » ?

Avec le changement climatique, les architectures régionalistes vont-elles dériver pour atteindre des régions plus propices à leur forme ? Où vont-elles se transformer et perdurer en se pliant aux nouvelles conditions météorologiques ? Verra-t-on apparaître, en parallèle, des esthétiques nouvelles pour répondre à des enjeux nouveaux, comme dans les années 30 au nom de l’hygiène ? Et trouvera-t-on encore des artisans et des savoir-faire constructifs capables d’assurer l’avenir en adaptant les leçons du passé ?

À Curuguaty, au Paraguay, l’agence Mínimo Común Arquitectura a construit ce bâtiment de bureaux en briques locales.
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(Mínimo Común Arquitectura)
À Curuguaty, au Paraguay, l’agence Mínimo Común Arquitectura a construit ce bâtiment de bureaux en briques locales. Dans une région où la température peut atteindre 45 degrés, son toit souple offre de l’ombre, récolte l’eau de pluie et permet à l’air de circuler de manière optimale.

Les « styles climat » surgissent partout. D’un côté, la maison à énergie positive, avec son toit plat végétalisé qui stocke une partie des eaux de pluie pour une consommation locale et une restitution sous forme d’évaporation pour rafraîchir l’atmosphère. Partiellement recouvert de panneaux photovoltaïques, ce sont eux qui emmagasinent une partie de l’électricité produite pour le foyer et redistribuent l’énergie excédentaire. De l’autre la maison, la ville ou la portion de territoire établie en autarcie qui ne consomme rien et ne produit plus de déchets. Une immense machine où tout est matière à transformation pour se nourrir, se chauffer, se rafraîchir, nettoyer, communiquer, s’éclairer et cultiver.

L’architecture bioclimatique ne signifie pas forcément d’entrer en adéquation avec l’environnement. Il est évident que les constructions des anciens, qui avaient foi dans le progrès, étaient pensées avec ce dernier. Mais il était sans restriction énergétique, comme celui de la Renaissance était sans limite géographique. Manière de dire que l’architecture a toujours été « environnementale ». Les constructions des 150 dernières années, véritables passoires thermiques, nous paraissent peut-être aujourd’hui aberrantes du point de vue bioclimatique. Elles sont pourtant des réponses réfléchies à la situation de l’époque et que le devoir de conservation et de mémoire nous oblige à des trésors d’invention pour les transmettre en conformité à nos descendances. Dès lors, le débat s’inscrit aussi autour de la croissance et des choix énergétiques. Le dessinateur Christophe Blain et l’ingénieur Jean-Marc Jancovici en ont fait une bande dessinée édifiante. Elle montre que telle énergie ne se substitue pas à telle autre, que la quantité de charbon utilisée n’a pas réduit malgré l’apparition du pétrole et que vraisemblablement l’électricité n’apportera aucune solution de substitution.

« Ceci tuera cela », écrivait Victor Hugo. Ce que ne vérifient pas les choix énergétiques dans l’histoire. De fait, nous ne réduirons pas notre consommation. Le « style climat » proposera donc une architecture moins énergivore, non pas dans le but de réduire la consommation générale mais plutôt dans celui d’assurer une croissance avec un moindre impact sur l’environnement. Mais d’où viendra cette énergie ? De nos maisons bien sûr ! C’est du moins que ce que pense l’économiste Jeremy Rifkin, lorsqu’en 2011 il énonce la troisième révolution industrielle. Selon lui elle permettrait, par le passage aux énergies renouvelables (panneaux photovoltaïques, géothermie, éolien), de faire de nos habitations des petites stations de production énergétique. Internet, les infrastructures, voire nos véhicules, serviraient alors aussi bien au transport qu’à la vente de cette énergie. On imagine bien la villa du film Mon Oncle de Jacques Tati augmentée d’excroissances étranges qui produiraient trop d’énergie quand personne n’en n’a besoin, mais pas assez pour être complètement autonome. Nous revoilà dans l’impasse.

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(Mario Cucinella Architects)
L’intérieur de la villa Tecla construite en argile avec son hublot zénithal.

TOTALE AUTARCIE

Et si le problème venait des échanges, des voyages individuels et du fret de marchandises ? Imagine-t-on pour autant un monde immobile où il ne serait plus nécessaire de ne rien déplacer (les gens, les choses) pour vivre ? Le « style climat » en mode survivaliste. À la fin des années 80, l’architecte américain William McDonough et le chimiste allemand Michael Braungart développèrent un concept d’éthique environnementale. Appelé Cradle to Cradle (du berceau au berceau), ils envisagent des villes et des architectures sans déchets, ni pollution. Cette approche systémique réinvente la ferme chinoise 5000 ans après son apparition.

Selon cette théorie, tous les besoins sont assouvis avec les moyens du bord et tous les rebuts d’une opération de production sont réintroduits dans un cycle vertueux pour alimenter l’opération suivante. Les seuls éléments externes sont la pluie et le vent. Une partie des boues issues des résidus de l’alimentation et des déjections animales et humaines sont ainsi stockées dans des silos pour sécher et produire du méthane utilisé pour l’éclairage et le chauffage. Une autre partie est épandue dans les champs pour les fertiliser. Les matières sèches issues de la méthanisation seront découpées en briques qui feront un excellent combustible dans le foyer. Les semences viennent d’une partie des récoltes qui n’a pas été consommée et conservée à cet effet. Les animaux sont utilisés tant pour leur force et leur apport nutritif que pour se vêtir et fabriquer des outils. Problème : ce modèle, certes séduisant, fonctionne à une échelle réduite et une occupation limitée du territoire. L’étendre à toute la planète serait-il possible ? Sûrement, si les bonnes volontés s’y attelaient sérieusement.

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(Philippe Ruault)
La Maison des associations de Manom en Moselle par le bureau Mil Lieux Architectes. Les murs en béton d’argile apportent une inertie favorable au confort d’été et régulent le taux d’humidité de l’air.

En 1972, le géographe Pierre Deffontaines publiait L’homme et sa maison, résultat d’un travail considérable qui mériterait d’être prolongé. Il relève, avec des exemples très documentés pris dans l’histoire et la géographie, comment l’homme a su construire et donner forme à son habitation avec peu de moyens. Les matériaux du lieu, accessibles dans un rayon réduit, sont transformés et assemblés pour mettre en œuvre des constructions adaptées au climat et aux moyens énergétiques disponibles.

Peut-être pourrions-nous reprendre le fil depuis cette perspective ? Se mettre à regarder les architectures du passé et de régions diverses. De la même manière que face à la mortalité des arbres indigènes qui ne résistent plus aux sécheresses devenues plus longues et plus fréquentes, nous cherchons des essences mieux adaptées à notre nouveau climat changeant. Cette approche nous permettrait de trouver des solutions dans la tradition ou dans d’autres cultures pour les adapter à notre vie moderne et à nos modes de production.

Il ne s’agit pas de réinventer les murs en pisé (un mélange traditionnel de paille et de boue) mais de regarder dans un bâtiment actuel comment adapter cette technique. Certains le font déjà et proposent des panneaux de façade à mettre en œuvre sur une ossature béton ou bois pour alléger l’ensemble. Cette technique permettrait aussi d’utiliser des matériaux trouvés sur place lors de la creuse pour les fondations et les sous-sols de l’édifice. À Genève, et dans d’autres villes de Suisse, on commence aussi à refroidir, et à chauffer, les appartements avec l’eau des lacs et des cours d’eau. Baptisé hydrothermie, le procédé est efficace, mais pas nouveau : les Romains l’utilisaient déjà.

LA VOIE DU BON SENS

Les effets du changement climatique ce ne sont pas seulement des étés plus chauds, ce sont aussi des hivers plus froids et des événements météorologiques de courte durée, mais plus réguliers et plus violents. Face à un climat plus rude, et en l’absence de sources d’énergie infinies pour le combattre, l’architecture et le bon sens vont devoir prendre le dessus, sans l’hégémonie d’un matériau ou d’un autre. Ici, le béton est adapté, il peut être employé avec parcimonie. Là, le bois est disponible et les savoir-faire qui l’accompagne sont à valoriser. Ailleurs la terre dispose d’une bonne argile… et les formes construites se différencient déjà selon les lieux et les expertises, marquant un « style climat » chaque fois semblable et différent.

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