N° 148 - Automne 2025

Machines de réveil

Pour faire face au vieillissement inéluctable de nos sociétés, les robots pourraient servir dans l’apport de soins. En suisse, des EMS testent déjà ces auxiliaires de vie dociles et efficaces que le Japon a adoptés depuis longtemps.

Nous sommes en Allemagne, dans un établissement médico-social. Au milieu des personnes âgées, un petit robot va et vient. Il ressemble à un grand Playmobil et parle. Alimenté dans ses réponses par l’intelligence artificielle, Garmi a été conçu pour faire face à la pénurie de personnel soignant en gériatrie dans un pays dont, plus encore qu’ailleurs, la population va vieillir à vitesse grand V dans les décennies à venir. Multitâche, cet humanoïde est capable d’assister à distance les médecins dans des phases de soins. Il peut aussi communiquer avec des pensionnaires. Un des patients de l’EMS converse avec lui. Ou plutôt avec elle puisque la machine est dotée d’une voix féminine. « Elle exprime des choses très intéressantes et on peut vraiment parler avec elle, c’est merveilleux!» s’exclame le vieil homme, visiblement enchanté.

C’est au Japon que le phénomène de l’intrusion des robots dans le soin a émergé. « Aucun pays n’aime autant les robots, explique l’Union suisse des services de l’emploi dans un document consacré au care tech, la technologie du soin. Et aucun pays ne connaît un vieillissement de la société aussi avancé que le Japon. En toute logique, ce pays est le plus ouvert à l’idée d’utiliser des robots dans le domaine des soins aux malades et aux personnes âgées. L’État a même publié un manga intitulé An 2025, un jour dans la vie de la famille Inobe, afin de favoriser l’acceptation de la technologie dans la vie quotidienne, en représentant le robot comme un assistant et un ami. »

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Au Japon, l’État publie le manga An 2025, un jour dans la vie de la famille Inobe, afin de présenter le robot, omniprésent dans l’archipel, comme un assistant et un ami.

Plus surprenant encore : selon le même document, « l’exemple japonais est annonciateur de ce qui nous attend en Suisse. La technologie jouera un rôle toujours plus important dans le secteur des soins.» Face, là encore, au vieillissement de la population et au manque de personnel, « l’acceptation de la technologie est une nécessité qui est déjà bien réelle. […] Le care tech évoluera en un réseau d’objets intelligents qui surveilleront notre santé et nous soutiendront au quotidien ou dans des situations potentiellement dangereuses. Une évolution qui profitera avant tout aux personnes atteintes de démence, toujours plus nombreuses. »

En Suisse, les robots aident d’ores et déjà à soigner. Le Swiss Medical Network s’appuie ainsi sur une série d’appareils et de robots pour lutter contre le cancer. Des outils qui permettent des procédures de diagnostic avancées, des interventions chirurgicales précises et des traitements innovants. La chirurgie assistée par robot est aussi une nouvelle spécialité médicale émergente, notamment en oncologie. Le robot opère (pas encore ?) seul, mais il élargit les capacités du médecin. Le Dr Éric Reiss, chirurgien orthopédique basé à Zofingue, dans le canton d’Argovie, est l’un des fers de lance de cet usage. Mais il tempère les ardeurs des fans de science-fiction : « Certes, par exemple en orthopédie, l’IA est particulièrement bien établie dans la planification préopératoire, l’analyse d’images et les systèmes d’assistance robotiques ; elle est de plus en plus intégrée dans les applications préet postopératoires. Mais nous n’en sommes pas pour autant à être opérés par des robots. Actuellement, pour rester dans le cas de la prothèse du genou, le praticien doit prendre en compte les antécédents médicaux du patient, son état clinique, ses besoins sociaux et professionnels, l’imagerie, les axes de la jambe, les tissus mous, la tension des ligaments…» Autant d’informations qu’une machine ne collectera pas à la place d’un être humain.

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En Allemagne, l’imposant Garmi permet de faire face à la pénurie de personnel soignant en gériatrie.

Basée à Vex, en Valais, la Fondation Home St-Sylve est une maison qui accueille 60 résidents en long séjour. Les personnes hébergées ici ne sont généralement plus en mesure ou n’expriment plus le désir de rester seules à domicile. « Pour nous, vivre en EMS ne se résume pas à un hébergement ou à une surveillance médicale : il s’agit avant tout d’habiter un lieu de vie, où l’on continue de ressentir, de s’émouvoir et de créer du lien », explique sa directrice, Geneviève Délèze. Depuis quatre ans, l’établissement intègre des chats robots comme outil de soutien thérapeutique. « Je parlerais de robotique affective, reprend la responsable. Cette approche vise à favoriser les échanges, à apaiser les résidents ou simplement à offrir une activité engageante, comme le fait de brosser l’animal. L’accueil est globalement très positif, notamment chez les personnes présentant des troubles cognitifs. »

L’idée est-elle de faire croire à ces personnes âgées qu’elles ont un vrai chat sur leurs genoux ? Surtout pas ! « Ces outils ne cherchent pas à tromper, mais à apaiser, à stimuler ou simplement à apporter une présence douce. Leur utilisation repose sur une réflexion éthique : respecter la personne, éviter toute substitution affective artificielle et préserver le libre arbitre. Certains peuvent ne pas apprécier les animaux ou craindre une forme d’infantilisation, d’où l’importance d’un accompagnement souple, ajusté et individualisé. » L’EMS accueille par ailleurs de véritables animaux : un chien, deux chats, des moutons et même une ruche au sein de la Fondation. « Cette présence animale crée des moments de joie, d’échange et de spontanéité, aussi bien pour les résidents que pour les collaborateurs. C’est un véritable ‹ déstresseur› au quotidien. Confier la garde du chien à un résident lui donne un rôle valorisant, porteur de sens, toujours avec le même objectif en tête : favoriser le bien-être, la dignité et la connexion à l’environnement. »

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(Mélina Neuhaus)
En Valais, Buddy remplace dans la classe des écoliers malades qui peuvent ainsi suivre les cours à distance.

Stéphanie Perruchoud est chercheuse, passionnée par la philosophie, ayant consacré une grande partie de sa thèse de doctorat à l’étude du corps vulnérable, à partir de l’expérience vécue. Présidente du comité éthique EMS valaisan, elle prévient d’emblée que parler de robot social peut poser un problème, car en quoi un robot peut-il être social ? À travers l’observation des pratiques au sein de sept établissements en Suisse romande, la chercheuse a relevé l’utilisation de deux robots de forme animale : Paro, qui ressemble à un bébé phoque, et un chat robot. Le premier coûte entre 5000 et 7000 francs, le second entre 200 et 400. « Pour les robots, il peut y avoir des personnes qui souffrent de troubles cognitifs avancés pour qui il est plus difficile de se retrouver avec un animal vivant, explique-t-elle. Mais attention, le robot ne doit pas être une excuse pour ne pas favoriser le contact avec la nature. Il y a un principe de justice et d’écologie sociale et environnementale : les gens ont tous droit à un vrai contact avec la nature s’ils le peuvent. »

En Belgique, l’hôpital universitaire de Bruxelles teste un robot social destiné à rassurer les enfants et à informer les parents dans le service des urgences pédiatriques. Ce projet pilote vise à explorer comment la technologie peut contribuer à une prise en charge plus chaleureuse et adaptée aux enfants. Rassurer, permettre le dialogue : aux yeux de Stéphanie Perruchoud, c’est bien à cela que peut servir la robotique en matière de soins. « Je me suis principalement intéressée aux questions éthiques autour de cette question. Dans les EMS, j’ai noté une grande délicatesse, on informe la famille et il faut d’ailleurs que cette dernière soit consentante (ou bien la personne, si elle le peut, en demeurant attentive au langage non verbal). »

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(Corine Cuendet)
Utilisé dans certains EMS en Suisse, Paro le phoque robot rassure et peut raviver des souvenirs.

Quant aux employés, ne formulent-ils pas la peur d’être un jour remplacés par la machine ? La chercheuse a noté que des questions se posent en effet. « Ils demandent souvent: Est-ce que ça marche? Est-ce qu’on va être remplacés?› » Des interrogations légitimes auxquelles elle apporte des réponses, du fait de ses années de travaux sur la question: « Il faut souligner auprès des personnels les aspects positifs sur un plan médical et relationnel. Certaines personnes ont recommencé à prononcer des mots grâce aux robots qui ont pu raviver des souvenirs. Il faut voir le robot d’abord comme une machine, qui peut aider à retrouver les sens liés à la mémoire et permettre de remplacer des médicaments, notamment pour les personnes agitées. Il peut aussi servir à garder la personne plus éveillée. Mais gardons en tête que le robot constitue vraiment un outil. Il ne faut pas se focaliser sur la robotique, mais bien garder dans la lumière le bénéficiaire et le soignant. » Un travail complémentaire en somme, à condition que l’humain ne confie pas les clés de l’EMS aux robots.

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