N° 140 - Printemps 2023

La chaleur refroidira bientôt le genre humain

Ayons le courage d’ouvrir nos yeux avant de devoir les fermer définitivement : notre avenir est de plus en plus sombre, car trop lumineux.

Si la sécheresse généralisée ne nous met pas la goutte à l’imaginative, il ne nous reste plus que la possibilité, avant la catastrophe, de cogiter des solutions d’attente et d’imaginer des hypothèses de repli. D’abord, les ministres européens chargés du « désensoleillement », qu’on aura installés à Berne parce que le mot évoque à la fois la capitale de la Confédération et des drapeaux en deuil, se déclareront incapables de finaliser leur mission sous prétexte que les fabricants de parasols ne peuvent livrer des écrans protecteurs de plus de 100 m2. Nous voilà prévenus sinon sauvegardés.

La chaleur qui, depuis la création du monde, était source de toute vie va devenir la principale cause de mort. Une certitude cependant : ce n’est évidemment pas en restreignant ou en supprimant tout ce qui participait à notre joie de vivre qu’on maintiendra notre envie de survivre.

La sobriété énergétique qui fait rigoler les poivrots ne changera rien à l’agonie planétaire sauf que les quelques années d’existence qui nous restent seront de moins en moins confortables. Certes, les vieillards dont les poumons cesseront normalement de fonctionner bien avant que l’air ne devienne complètement irrespirable, n’en feront pas une maladie.

Les premiers contre-feux se matérialiseront sous la forme de chambres à coucher froides et d’éoliennes d’appartements. La glaciation de la nourriture sabordera notre gastronomie traditionnelle, mais favorisera l’ouverture de nouvelles chaînes de magasins à l’enseigne de « Greléttorama ». À leur dernier étage, un stand de cryogénisation rapide et pas cher (une heure pour 500 euros) accueillera les désespérés reconnaissables à leur passe-montagne. Ceux qui s’obstineront à croire en Dieu bénéficieront d’un accompagnement religieux grâce à des ondoiements à 20 degrés dispensés par des desservants vêtus de scaphandres. Après quoi, les mises en bière auront lieu sur les comptoirs d’anciens débits de boissons.

À partir du jour où le thermomètre ne descendra plus au-dessous de 55 degrés et où l’état de canicule sera officiellement déclaré, l’humanité se divisera en deux camps très inégaux. D’un côté, les privilégiés que leurs fonctions ou leur fortune autoriseront à utiliser les « clims » ; de l’autre côté, la piétaille dépourvue de masques à oxygène dont les cadavres joncheront les rues lorsqu’ils prendront le risque de sortir de chez eux. Donc, aucune autre échappatoire qu’un peu de tourisme au Groenland. Au moins tant que les blocs de glace servant de socle aux hôtels et aux restaurants n’auront pas encore fondu. On trouvera les informations indispensables aux voyages organisés et aux suicides assistés dans les colonnes de Caniculi Canicula qui publiera chaque soir les températures relevées dans la journée et les augmentations thermiques à venir.

L’industrie du vêtement sera la plus durablement touchée, car la production et le façonnage des strings exigeront moins de main-d’oeuvre et de matières premières que les bonnes vieilles fourrures et les regrettés lainages. Seules, les plus hautes autorités de l’État seront autorisées – par souci de convenances et par besoin de poches – à porter des habits climatisés, estampillés par une cocarde tricolore. Pour ne pas ajouter la fièvre des corps constitués aux dérèglements thermiques, les conseils de ministres se tiendront dans l’abri antiatomique situé à 80 mètres sous l’Élysée. La traque des problèmes sera illustrée par la projection des propositions de lois sur grands écrans suivie d’un vote électronique.

Les premières victimes économiques de la chaleur se recruteront parmi les chauffagistes en faillite et surtout chez les marchands de moufles dont les stocks ne seront plus visibles que dans les musées. En tête des rares nouveaux produits se placera la neige artificielle à emporter en week-end pour oublier la disparition des montagnes. La sueur sera le signe le plus visible de la surchauffe. Elle coulera moins désormais du front des travailleurs qu’elle n’inondera les lits des siesteurs.

Tout ce qui exige des efforts physiques sera réduit ou prohibé. Les sports bien sûr, les récréations dans les cours d’école, mais également les travaux industriels et les activités commerciales lorsqu’elles imposent la station debout. Il faut s’attendre de surcroît à un déclin démographique puisque, paradoxalement, les bipèdes en chaleur feront de moins en moins l’amour et que les femmes frigides ne cacheront plus leur absence de tempérament. Comme la procréation s’effectuera sans aucun plaisir, les violences sexuelles disparaîtront. Le sexe sera peu à peu mis à l’index et remplacé par des seringues dites parentales.

ASTROMIGRANTS

On imprimera en hâte de nouveaux calendriers afin qu’ils mentionnent un été débutant le 1er janvier et s’achevant le 31 décembre. L’inévitable dessèchement des gosiers et des coeurs qui s’ensuivra altérera l’usage de la parole, et sonnera le glas des bonnes oeuvres et des sentiments chaleureux. Certains éléments de langage seront, eux aussi, bannis ou modifiés. Ainsi les « notes de frais » feront, elles, place à des « factures de fournaise » alors que la montée du mercure conditionnera la progression de l’inflation. Le label « tempéré » signalera les lieux, les ouvrages et les récoltes provisoirement un peu moins exposés.

Compte tenu des menaces persistantes ou accrues d’ouragans, de tempêtes, de déluges, de raz-demarée, il appartiendra aux hauts-commissaires aux transbordements de publier, avant consultation des électeurs, les caractéristiques des planètes refuges. Il ne faudrait pas que l’espèce humaine abandonne la terre sans être assurée que les mauvais vents ne soufflent pas aussi à 5 millions de kilomètres de l’observatoire de Paris. D’où la nécessité de ne se déplacer qu’à bord de fusées capables de redécollage ou de changements d’itinéraire.

Les astromigrants devront avoir moins de 50 ans et des compagnes plus jeunes qu’eux. Dans leurs bagages, ils pourront emporter les cendres d’ascendants soumis à une « crémation naturelle », c’est-à-dire calcinés sans aucune autre intervention que celle de l’astre du jour.

LES ‹ NOTES DE FRAIS › FERONT PLACE À DES ‹ FACTURES DE FOURNAISE › ALORS QUE LA MONTÉE DU MERCURE CONDITIONNERA LA PROGRESSION DE L’INFLATION.

NEW PÉPITA

Les premiers transbordés ne représenteront pas plus d’un millionième de la population mondiale et devront préalablement acquitter une redevance égale à la valeur de la moitié de leurs biens terrestres. Le transbordement sera effectué à bord d’un missile propulsé par énergie nucléaire. Un périple d’environ six mois durant lesquels les voyageurs seront anesthésiés et plongés dans une existence végétative. Ils devront de surcroît appartenir aux cinquante « professions de base » telles que les terrassiers, les architectes, les maçons, les agriculteurs et les médecins. Avant leur départ, ils se seront familiarisés avec un langage singulier intitulé « sarabiat » et dont les vocables seront limités à trois syllabes, faisant fi des nationalités, des cultures et des idiomes différenciés. Une fois installé, chaque transbordé pourra communiquer dix minutes tous les mois avec les proches devenus lointains.

J’ignore qui a baptisé « New Pépita » notre planète refuge. Ce n’est pas moi, car l’information m’est parvenue en rêve en même temps que ses caractéristiques principales. À savoir, une température moyenne équivalente à celle de la terre avant le calamiteux réchauffement; une superficie totale ne dépassant pas celle de l’Europe ; des chefs d’État remplacés par un « directeur général de planète » assisté de managers régionaux régnant chacun sur dix mille transbordés dénommés « pépitos ». Aucun renseignement, en revanche, sur l’immobilier qui nous est si cher et qui sera sans doute meilleur marché.

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