N° 117 - Été 2015

Vous avez dit coïncidences ?

Le 10 avril 1912, à 12h15, le Titanic appareille de Southampton en Angleterre. Le 14 avril 1912, à 23h40, il heurte un iceberg sur tribord avant et sombre quelques heures plus tard provoquant la mort d’environ 1 500 passagers.

Quatorze ans auparavant, en 1898, l’écrivain Morgan Robertson publiait un roman intitulé Le naufrage du Titan. Le récit décrivait presque mot à mot la même tragédie : départ en grande pompe de Southampton pour un voyage inaugural, et naufrage dans l’Atlantique Nord après avoir heurté un iceberg et, comme le Titanic, le Titan était propulsé par trois hélices. Ironie du sort : on compte parmi les victimes du naufrage du Titanic le célèbre journaliste W. T. Stead qui, dans la critique qu’il avait faite du livre de Morgan Robertson, avait conclu par cette phrase : « C’est exactement ce qui pourrait se passer si les grandes compagnies maritimes persistaient à ne pas prévoir assez de canots de sauvetage pour tout le monde ! »

Découragé, alors qu’il rentre chez lui, voilà qu’il aperçoit… le roman abandonné sur un banc.

Carl Jung, lui, nous raconte l’histoire de cette patiente dont l’analyse patinait en raison de son trop grand rationalisme. Un matin, elle lui fait part d’un rêve où elle se voit recevoir en cadeau un scarabée d’or. Au même moment, Jung entend un bruit à la fenêtre provoqué par un insecte. Il le capture et constate qu’il s’agit d’un… scarabéidé de la famille des lamellicornes, le plus proche du scarabée qu’il soit possible de trouver sous nos latitudes. Il lance à sa patiente : « Le voici votre scarabée ! »

Carl Jung, toujours, rapporte dans ses Mémoires le récit que lui fait l’un de ses amis, le poète Wilhelm von Scholz : En 1914, dans la Forêt-Noire, une mère prend une photographie de son fils, un bambin de quatre ans. Elle donne la pellicule à développer. La guerre éclate. La mère qui n’a pas eu le temps de Carl Jung, toujours, rapporte dans ses Mémoires le récit que lui fait l’un de ses amis, le poète Wilhelm von Scholz : En 1914, dans la Forêt-Noire, une mère prend une photographie de son fils, un bambin de quatre ans. Elle donne la pellicule à développer. La guerre éclate. La mère qui n’a pas eu le temps de récupérer la pellicule la considère tout naturellement comme perdue. En 1918, elle achète à Francfort-sur-le-Main, soit à environ trois cents kilomètres du Bade-Wurtemberg, une autre pellicule pour prendre des clichés de la petite fille qu’elle a eue entre-temps. Elle la donne à développer. Lorsqu’elle la récupère, qu’elle n’est pas sa surprise de trouver parmi les clichés la photo du fils qu’elle avait prise en 1914. Par on ne sait quel tour de magie, la vieille pellicule considérée comme neuve avait été remise en vente.

En 1973, l’acteur Anthony Hopkins accepte de jouer dans The Girl from Petrovka, de George Feifer, basé sur le roman du même nom et dont Feifer est l’auteur. Désireux de lire l’ouvrage, Hopkins le cherche dans de nombreuses librairies de Londres, sans succès. Découragé, alors qu’il rentre chez lui, voilà qu’il aperçoit… le roman abandonné sur un banc. Deux ans plus tard, au moment du tournage, le metteur en scène confie à Hopkins que lui-même ne possédait plus une seule copie de son roman, car il l’avait prêté (bourré d’annotations) à un ami lequel l’avait égaré. Hopkins lui a alors tendu l’exemplaire récupéré sur le banc et… bourré d’annotations : — C’est bien celui-là ?

Nous pourrions continuer ainsi de citer indéfiniment ces « coïncidences ». Mot qui selon la plupart des dictionnaires signifie : « Evénements qui arrivent ensemble par hasard ». Le hasard donc. Azzahr. En arabe : les dés. Qui d’entre nous n’a pas connu ces instants où le téléphone sonne et où l’on entend au bout du fil la voix de quelqu’un à qui l’on pensait quelques secondes plus tôt ? Qui n’a jamais vécu cette sensation de « déjà-vu » devant un paysage, à l’occasion d’une rencontre ou d’un dialogue échangé ?

Le hasard

Pour le biologiste autrichien Paul Kammerer, le hasard n’existe pas. La loi dite des séries est aussi fondamentale que les lois de la physique ; les coïncidences n’étant que les parties visibles d’un iceberg, et, pour lui, ce que nous appelons « hasard » n’est que la manifestation d’un principe universel de la nature. Ce principe fonctionnerait en dehors des règles connues de la physique et produirait des événements concurrents reliés par affinité. Ces événements se propageraient comme des ondes sur l’axe temporel du continuum espace-temps. Les coïncidences formeraient en quelque sorte le cordon ombilical qui relie la pensée, le sentiment, la science et l’art aux entrailles de l’Univers qui leur a donné naissance.

Si l’on s’appuie sur le fameux paradoxe dit EPR, proposé par Einstein et deux de ses collègues (Podolsky et Rosen, d’où le nom EPR), la théorie de Kammerer n’est pas aussi utopique qu’il n’y paraît.

Il se résume ainsi : Si l’on scinde un atome en deux parties (A et B). Si on les sépare l’une de l’autre. Si l’on influe sur l’une d’entre elles, l’état de l’autre particule se trouve instantanément modifié, et ce même si à l’instant de la mesure cette particule est située à plusieurs kilomètres, et par conséquent ne peut être « informée » de l’état de la première. Lorsque aux alentours de 1930 les trois savants éditèrent ce paradoxe, la technologie de l’époque ne permettait pas de réaliser une expérience susceptible de prouver leurs affirmations. Ce n’est qu’en 1981 que le chercheur Alain Aspect a pu la réaliser à Orsay, confirmant sa validité. Dans la foulée, un autre chercheur, Etienne Klein, proposa quant à lui une métaphore assez belle de l’effet EPR : « Deux cœurs qui ont interagi dans le passé ne peuvent plus être considérés de la même manière que s’ils ne s’étaient jamais rencontrés. Marqués à jamais par leur rencontre, ils forment un tout inséparable. »

Ne serait-ce enfin l’explication du fameux « coup de foudre » ?

L’approche de Carl Jung dans ce domaine à travers sa théorie de la « synchronicité » vient elle aussi appuyer l’idée que les coïncidences ne seraient pas dues au seul hasard. Il définit la synchronicité comme étant la « coïncidence temporelle de deux ou plusieurs événements sans lien causal entre eux et possédant un sens identique ou analogue ». C’est, en grande partie, grâce à ses expériences personnelles que le célèbre psychiatre élabora cette théorie avec la complicité du physicien Wolfgang Pauli. Il disait : « Il existe des facteurs qui, bien que nous ne les connaissions pas, influencent notre vie, particulièrement lorsqu’ils restent inconscients. J’ai souvent rencontré les phénomènes en question, et j’ai pu me convaincre de l’importance de ces expériences. Dans la plupart des cas, ce sont des choses dont on ne parle pas de peur de s’exposer à des ricanements. J’ai été étonné de constater combien de gens ont eu des expériences de ce genre, et avec quelles précautions le secret en est gardé. »

La loi dite des séries est aussi fondamentale que les lois de la physique.

Effectivement, quel esprit cartésien pourrait croire sans rire que le hasard n’existe pas et que ces enchaînements dont nous sommes soit les victimes, soit les heureux bénéficiaires font partie d’un principe rigoureusement mathématique et par définition incontournable ?

Mais serait-ce si absurde que de laisser vagabonder notre imagination ? Ne pourrait-on concevoir un instant que les très grandes lignes de nos vies soient tracées par des événements qui échappent à notre volonté ? Je ne parle pas des petits sentiers, mais des grandes autoroutes. Absurde ? Allez savoir ! De toute façon, une vérité demeure : coïncidences ou non, ce sont toujours les événements imprévus et qui nous touchent qui font de nous ce que nous sommes. Rarement ceux que l’on a planifiés.

A propos. J’oubliais.

N’est-ce pas le 9/11, en numération anglaise, qu’eut lieu l’attentat du World Trade Center ?
911 est aussi le numéro des urgences aux USA. Coïncidence…

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