Entrée principale. La Gerrit Rietveld Academie a été construite par le designer et architecte Gerrit Rietveld entre 1950 et 1963.
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Entrée principale. La Gerrit Rietveld Academie a été construite par le designer et architecte Gerrit Rietveld
entre 1950 et 1963. © Adrien Buchet
N° 122 - Printemps 2017

Le temple du design hollandais

À Amsterdam, la Gerrit Rietveld Academie représente l’une des plus célèbres institutions européennes des sciences appliquées dans le domaine des beaux-arts et du design. Tremplin idéal pour les jeunes talents, cette école encadre et forme ses étudiants afin qu’ils acquièrent une parfaite autonomie, notamment dans les domaines des arts visuels et de la conception. L’académie mise ainsi sur le développement des capacités et de la créativité d’élèves déjà férus de design.

Dans un bâtiment conçu par le célèbre designer et architecte d’Utrecht Gerrit Rietveld, un labyrinthe de couloirs et de salles nous conduit à ce lieu où la création est reine. Au milieu du capharnaüm et du brouhaha, des étudiants imperturbables et concentrés travaillent dans ce temple du design hollandais.

Contexte et lieu

À première vue, l’ensemble architectural de la Gerrit Rietveld Academie n’apparaît pas comme l’endroit le plus engageant pour l’étudiant lambda. Des lignes simples et des façades vitrées, qui font davantage penser à des bureaux, forment pourtant le cadre d’une académie de renommée internationale.

L’école comporte deux édifices. Le bâtiment principal, qui est aussi le plus grand, est l’œuvre de Gerrit Rietveld. Conçus entre 1950 et 1963, des ateliers et des salles de cours sont répartis sur cinq niveaux. En 1968, peu après la mort de Rietveld, l’académie reçut – outre le titre de Haute école d’enseignement supérieur – le statut officiel d’Académie des Beaux-Arts et du Design ; ses dirigeants en profitèrent pour adopter le nom de Gerrit Rietveld Academie, rendant ainsi hommage à l’architecte. L’édifice a été rénové en 2004.

Dès 2003, une extension est réalisée par le cabinet Benthem Crouwel Architects. Le Buro Rietveld, de nouveaux studios, des salles de travail, une bibliothèque et un espace d’exposition occupent maintenant le bâtiment. Celui-ci comprend les départements des beaux-arts, de l’audiovisuel et des programmes de master de l’Institut Sandberg.

Située à quelques kilomètres au sud-ouest du centre historique d’Amsterdam, l’Académie sise au bord d’un canal semble être un lieu propice à l’inspiration et à la création. Après avoir franchi l’entrée du bâtiment principal, une atmosphère enthousiaste, nourrie de voix et de dialogues joyeux, annonce la température. Entre la réception et une cafétéria bondée, une performance incongrue est organisée par l’intermédiaire de trois étudiants qui invitent les passants à participer à une compétition de french kiss.

Façade arrière du bâtiment conçu par Gerrit Rietveld. Ses larges baies vitrées offrent un bon éclairage aux ateliers.
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© Adrien Buchet
Façade arrière du bâtiment conçu par Gerrit Rietveld. Ses larges baies vitrées offrent un bon éclairage aux ateliers.
Le Buro Rietveld et l’Institut Sandberg.Extension de l’école réalisée en 2003 par Benthem Crouwel Architects
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© Adrien Buchet
Le Buro Rietveld et l’Institut Sandberg. Extension de l’école réalisée en 2003 par Benthem Crouwel Architects

Histoire

Les origines de l’Académie remontent à 1924, suite à la fusion de trois écoles qui forment une institution destinée aux arts appliqués. Entre 1939 et 1960, le programme d’études est fortement influencé par les idées fonctionnalistes du mouve-ment artistique De Stijl et du Bauhaus. Dans les années 70, on voit se préciser le rôle attribué aux arts visuels autonomes ainsi qu’à l’expression individuelle et critique. Ces orientations définissent aujourd’hui encore les caractéristiques et l’ensei-gnement que la Gerrit Rietveld Academie tente d’inculquer aux jeunes créateurs. Cette école indépendante compte en-viron 1 000 étudiants dont près de 45 % sont étrangers ; plus de 60 pays sont représentés, confirmant ainsi l’importance du monde de l’art et de la culture au niveau international. Pour encadrer et mieux orienter ces designers « en puissance », quelque 200 enseignants travaillent à temps plein ou partiel pour l’Académie.

Cursus et philosophie

L’éducation et les cours que propose l’école sont dispensés par deux départements, les Beaux-Arts et le Design, qui dépendent nécessairement l’un de l’autre. Selon Ben Zegers, le directeur de l’école, « les étudiants apprennent, dès la première année, à associer (la philosophie de) l’art et le design comme une seule entité » ; il est convaincu que cela pourra être utile pour la suite de leurs études et durant leur carrière. Ils apprendront à préciser le rôle qui leur incombe dans les domaines de l’art et de la conception et, à terme, sauront développer de façon responsable et engagée une stratégie visant à mener le mieux possible leur parcours professionnel. Le cursus intègre par ailleurs le travail de groupe et le partage des idées. Interviewé sur les méthodes pédagogiques, B. Zegers croit qu’il est indispensable de provoquer des interactions entre étudiants et enseignants, eux-mêmes artistes et designers professionnels. La notion de Do it yourself est aussi mise en pratique et tout est géré, fabriqué et imaginé par les élèves : « Toute activité est menée par nos étudiants pour l’académie et son prestige. »

Concernant les études, les deux programmes de diplômes, Beaux-Arts et Design, impliquent respectivement la pratique de divers ateliers. Après l’obtention d’un diplôme, l’étudiant peut, s’il le souhaite, poursuivre un master par le biais de l’Institut Sandberg.

Les ateliers de textile et de mode. Après une année appelée « année de base » (Base Year), les étudiants choisissent une spécialisation.
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© Adrien Buchet
Les ateliers de textile et de mode. Après une année appelée « année de base » (Base Year), les étudiants choisissent une spécialisation.
Atelier de design graphique. Le partage des idées et le dialogue sont ici chose courante
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© Adrien Buchet
Atelier de design graphique. Le partage des idées et le dialogue sont ici chose courante

Diplômes et ateliers

Chacun de ces deux diplômes débouche sur plusieurs spécialisations dans le cadre d’un atelier. Après une première année appelée « année de base » (Basic Year), l’étudiant doit choisir quel diplôme il souhaite obtenir. Deux options, qui correspondent à deux séries d’études autonomes d’une durée de trois ans, se présentent à lui. La première aborde l’étude approfondie des beaux-arts. Des cours et des ateliers tels que Image et Langage, Céramique, Verre ou encore Photographie sont proposés. La seconde option, axée sur le design, propose des ateliers de Textile, Mode, Design architectural, Design graphique ainsi que Bijoux. Dans les deux programmes, des coordinateurs sont chargés d’encadrer et de guider les étudiants dans leur parcours. Parallèlement, d’autres disciplines et ateliers ne sont pas forcément rattachés à un programme précis. Ces ateliers, appelés « généraux », peuvent donc accueillir tous les étudiants. Le bois, le métal, la soudure, la sérigraphie, la lithographie, la typographie, la gravure et d’autres ateliers comme le tissage sont praticables et mis à disposition.

En outre, des cursus à temps partiel sont également possibles ainsi que des cours préparatoires pour les personnes qui désireraient intégrer l’Académie. Récemment, Adrian Camenzind, un jeune Argovien de Baden, a fait ses valises pour la Gerrit Rietveld Academie, charmé par l’enseignement et le cadre que représentent tant l’école que la ville d’Amsterdam. « L’Académie est ouverte et internationale ; j’ai rapidement constaté que les professeurs étaient très qualifiés en graphisme contemporain ; les rencontres avec Linda van Deursen, Radim Pesko, Laurenz Brunner et Julia Born ont été fondamentales pour moi. » Sur place, il raconte avoir partagé nombre d’idées et de concepts impliquant des étudiants et des professeurs attentionnés. « Chaque étudiant retrouve une fois par semaine ses ‹ deux mentors ›, qui lui permettent de discuter de ses projets. » En suivant un diplôme de design, Adrian s’est donc spécialisé dans la réalisation de travaux appliqués mêlant la typographie et des travaux d’imprimerie : livres, cahiers et posters.

« Les exercices en classe sont libres, et chacun peut travailler sur des projets personnels et conceptuels comme bon lui semble. » Outre d’autres créations personnelles et la réalisation d’un site Web, l’étudiant se sent plus apte techniquement et sait désormais comment aborder de manière pragmatique les nouveaux projets qui se présentent à lui. Il est sur le point d’emménager dans un nouveau studio à Zurich pour travailler à des applications pratiques.

Adrian Camenzind. L’artiste suisse (Bachelor of Design) tire manuellement ses propres sérigraphies.
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© Adrien Buchet
Adrian Camenzind. L’artiste suisse (Bachelor of Design) tire manuellement ses propres sérigraphies.
Adrian Camenzind. L’artiste suisse (Bachelor of Design) tire manuellement ses propres sérigraphies.
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© Adrien Buchet

Institut Sandberg

Les différents programmes de master de la Gerrit Rietveld Academie sont dispensés par l’Institut Sandberg. Raccordé à l’Académie, son nom fait référence au typographe, muséographe et directeur de musée hollandais Willem Sandberg (1897-1984). Cet Institut propose quatre masters : en beaux-arts (Fine Arts), en arts appliqués (Applied Arts), en design (Design), et en architecture d’intérieur (Interior Design). Sous la houlette du designer Jurgen Bey – qui s’est fait connaître dans les années 90 avec Gijs Bakker et le collectif Droog Design –, le jeune créateur a ainsi la chance d’évoluer et de parfaire son apprentissage en bénéficiant des conseils d’un spécialiste en matériaux ; cherchant à valoriser ceux-ci, Jurgen Bey est aussi réputé pour son travail sur le recyclage.

Pendant les deux années du master, les étudiants sont amenés à gérer des situations auxquelles ils devront faire face durant leur carrière. Parallèlement à l’élaboration de projets personnels, ils doivent être également capables de collaborer, d’étudier et de présenter des expositions. Cette méthode fructueuse, basée sur l’expérience pratique, aide l’étudiant à répondre à la critique ; cette formule qui a déjà fait ses preuves permet aux élèves de se perfectionner de façon significative.

Département Photographie. Quelques portraits de la Danoise Sara Glahn (1987).
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© Leonie Linotte & Dagmar van Wersch
Département Photographie. Quelques portraits de la Danoise Sara Glahn (1987).

Buro Rietveld et Société Rietveld

Le Buro Rietveld agit comme médiateur entre les étudiants de la Gerrit Rietveld Academie et le monde extérieur. Il occupe une place dominante au sein de l’école. Les étudiants peuvent ainsi réaliser de nouvelles commandes aussi bien pour l’Académie que pour des clients extérieurs. Publications, expositions et autres manifestations sont générées par le Buro.

Ces activités permettent aux élèves de faire leurs premiers pas dans la vie active en rencontrant de futurs collaborateurs.

D’autre part, une émission mensuelle de télévision intitulée Rietveld TV est diffusée sur le site de l’Académie (www.gerri-trietveldacademie.nl). Orchestrée par le Buro, elle est montée par les membres de l’Académie tous les premiers samedis du mois. Ces reportages présentent de manière originale et séduisante les idées des étudiants, en diffusant leurs créations. L’une des dernières émissions montre le travail de l’Iranienne Golrokh Nafisi qui met en perspective son histoire personnelle et son style unique. Enfin, le Buro organise des colloques sur les thèmes des arts visuels et du design face aux défis du monde contemporain.

Grâce à la Société Rietveld, qui représente le réseau des anciens élèves, l’Académie permet de suivre les diverses orientations adoptées et le début des carrières de chacun. Cette nouvelle plateforme réunit des informations qui s’avèrent précieuses quant au développement artistique des jeunes créateurs. L’Académie renforce ainsi son propre programme d’enseignement pour mieux cerner et appréhender l’environnement artistique en constante évolution. Par ailleurs, les membres dialoguent et communiquent beaucoup entre eux et, s’ils le souhaitent, restent en contact direct avec la Gerrit Rietveld Academie. De son côté, l’école les encourage à participer à des colloques, des conférences ou encore des expositions aux Pays-Bas ou à l’étranger.

« The shoes », oeuvre de Leanie van der Vyver (1980).
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© Abel Minnee & Taro Leenaerts
« The shoes », oeuvre de Leanie van der Vyver (1980).
Tirages de sérigraphies réalisés par Adrian Camenzind.
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© Adrien Buchet
Tirages de sérigraphies réalisés par Adrian Camenzind.

Anciens élèves

La Gerrit Rietveld Academie peut se targuer d’avoir propulsé quelques artistes qui sont aujourd’hui connus dans leur domaine. Le Hollandais Ben van Berkel du cabinet d’architecture Van Berkel & Bos Architectuurbureau a, depuis son passage à l’école, réalisé des bâtiments à Séoul, à Stuttgart (Mercedes-Benz Museum) ou à Manhattan, en 2009. En 2009 toujours, son agence et le Gouvernement néerlandais présentent à la ville de New York le New Amsterdam Pavilion pour célébrer 400 ans de relations entre New York et les Pays-Bas. Le designer Wim Crouwel a lui aussi suivi une formation de typographe à l’Académie. L’invention du New Alphabet, de nombreux prix et la conception du pavillon néerlandais destiné à l’Expo ’70 d’Osaka au Japon, font de lui une référence pour les graphistes. Citons encore Joseph Gregory Percy Irausquin (1969-2008), décrit comme l’un des designers les plus talentueux de son époque aux Pays-Bas, le graphiste Gerard Unger, les membres du groupe de rock Claw Boys Claw ou encore la photographe Rineke Dijkstra, connue pour ses portraits et autres travaux en série.

« The architectural installation with the ropes », œuvre de la Danoise Anna Navndrup Pedersen (1985).
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© Robin Verdegaal
« The architectural installation with the ropes », œuvre de la Danoise Anna Navndrup Pedersen (1985).

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